Rendre les droits de l’homme plus « verts »

Que disent les lois relatives aux droits de l’homme en matière d’environnement ? Au premier abord, la réponse peut sembler être « pas grand-chose ». La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 et les deux pactes internationaux adoptés en 1966 n’intègrent pas le droit à un environnement sain. Le droit international de l’environnement s’est développé, en grande partie, indépendamment des lois relatives aux droits de l’homme.  

Mais le fait de ne pas inclure le droit à un environnement sain dans les instruments de référence relatifs aux droits de l’homme est lié à des questions de chronologie et non pas de substance. Le mouvement environnemental moderne a commencé à la fin des années 1960, trop tardivement pour être pris en compte dans les traités fondateurs des droits de l’homme.  Il est néanmoins clair que les droits de l’homme et la protection de l’environnement dépendent l’un de l’autre. Notre capacité à jouir de nos droits à la vie et à la santé, ainsi que beaucoup d’autres droits, dépend  du fait de vivre dans un environnement sain et durable. La communauté internationale a reconnu ce lien lors de sa toute première grande conférence sur l’environnement à Stockholm en 1972 qui a proclamé que l’environnement naturel est « essentiel » à la jouissance de nos droits de l’homme fondamentaux, y compris le droit à la vie lui-même.

L’exercice des droits de l’homme aide à protéger l’environnement, qui à son tour permet de jouir pleinement des droits de l’homme.

Au cours de ces dernières années il est devenu tout aussi manifeste que l’inverse est également vrai : l’exercice des droits de l’homme est nécessaire, ou tout du moins hautement important, à la jouissance d’un environnement sain. Quand les gens qui peuvent être affectés par les politiques et activités proposées peuvent participer librement à la prise de décision environnementale, leur société est bien plus susceptible de bénéficier de protections environnementales fortes. De cette manière, les droits de l’homme et la protection de l’environnement peuvent former un cercle vertueux : l’exercice des droits de l’homme aide à protéger l’environnement, qui à son tour permet de jouir pleinement des droits de l’homme.  

De nombreux États ont reconnu cette relation symbiotique en codifiant un droit à un environnement sain dans leur constitution nationale. Plus de 90 pays l'ont fait explicitement et un nombre encore plus important d’entre eux ont rejoint des accords régionaux sur les droits de l’homme, par exemple en Afrique et sur l’ensemble du continent américain, qui reconnaissent le droit à un environnement sain. De plus, bien qu’il soit encore vrai qu’aucun accord mondial sur les droits de l’homme n’intègre explicitement un droit à un environnement sain, au cours des deux dernières décennies, de nombreux organes de défense des droits de l’homme ont interprété les droits universellement reconnus, comme les droits à la vie et à la santé, en exigeant que les États prennent des mesures pour protéger l’environnement qui conditionne la jouissance de ces droits. Le résultat est que les lois relatives aux droits de l’homme deviennent rapidement plus « vertes ».

En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies m'a nommé pour servir en tant que premier expert indépendant sur les droits de l’homme et sur l'environnement. Le Conseil m’a demandé d’étudier les obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, et d’identifier les bonnes pratiques dans leur utilisation. À cette fin, j’ai mené une série de consultations avec des représentants de gouvernements, d’organisations issues de la société civile, d’organisations internationales, et de nombreux autres acteurs dans chaque région du monde. Avec l’aide de nombreux volontaires bénévoles, j’ai également recherché ce que les organes de défense des droits de l’homme avaient déclaré au sujet de la protection de l’environnement.

J’ai trouvé un degré de convergence remarquable dans leurs points de vue. L’unanimité était forte sur le fait que les dommages environnementaux peuvent interférer avec les droits de l’homme et que les États ont des obligations se rapportant à la protection de l’environnement sur la base de leurs engagements existants en vertu des lois internationales sur les droits de l’homme. J’ai résumé ce consensus émergent dans un « rapport » destiné au Conseil. Ce rapport explique que les États ont des obligations procédurales d’évaluer l’impact environnemental sur les droits de l’homme, de rendre publique l’information sur l’environnement, de faciliter la participation à la prise de décision environnementale, et de fournir des solutions de recours. L’obligation de faciliter la participation publique inclut celle de protéger les droits à la liberté d’expression et d’association contre les menaces, le harcèlement et la violence, un ensemble d’obligations particulièrement importantes en raison des menaces et du harcèlement qui pèsent sur de nombreux défenseurs de l'environnement.  

Les États ont également des obligations substantielles d’adopter un cadre juridique et institutionnel protégeant contre les dommages environnementaux qui interfèrent avec la jouissance des droits de l’homme, y compris les dommages causés par les acteurs privés. L’obligation de protéger les droits de l’homme contre les dommages environnementaux n’exige pas que les États interdisent toutes les activités qui pourraient causer une dégradation de l’environnement. Il est à la discrétion des États de trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et d’autres intérêts sociétaux légitimes. Mais l’équilibre ne peut pas être irraisonnable, ou résulter en une atteinte injustifiée et probable aux droits de l’homme. En évaluant si cet équilibre est raisonnable, les normes sanitaires nationales et internationales peuvent être particulièrement pertinentes.

Flickr/Friends of the Earth International (Some rights reserved)

"The African regional human rights commission has held that the failure of the Nigerian government to protect the Ogoni people from massive oil pollution in the Niger delta violated their rights to health and to a satisfactory environment."


Par exemple, la commission régionale africaine des droits de l’homme a déclaré que l’échec du gouvernement nigérian à protéger le peuple Ogoni contre la pollution pétrolière massive du delta du Niger avait constitué une violation de leur droit à la santé et à un environnement sain. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré qu’en accordant des concessions minières et forestières sans le consentement libre, préalable et informé des populations tribales qui vivaient sur les terres concernées, le Suriname avait violé leur droit de propriété. Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’échec des gouvernements à prendre des mesures raisonnables pour protéger contre les menaces probables posées par des catastrophes d’origine naturelle ou humaine peut constituer une violation du droit à la vie des victimes.  

En 2015, le Conseil des droits de l’homme a prolongé mon mandat pour trois ans supplémentaires et a changé mon titre pour celui de Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement. En plus de continuer à clarifier les obligations en matière de droits de l’homme touchant à l’environnement, le mandat a pour nouvelle attribution d’inclure le fait de porter assistance à ceux qui travaillent en vue de rendre ces principes pleinement opérationnels.  De nombreux acteurs dans le monde le font déjà : mon rapport le plus récent au Conseil identifie plus de 100 bonnes pratiques dans l’utilisation des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant à la protection de l’environnement.  

Mais il reste encore bien plus à faire. Par exemple, je me suis récemment joint à 26 autres experts onusiens des droits de l’homme pour attirer l’attention sur les effets du changement climatique sur tout un ensemble de droits de l’homme et exhorter les États parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de tenir compte de leurs obligations relatives aux droits de l’homme alors qu’ils négocient un nouvel accord sur le climat. Pour cela, ainsi que pour les autres menaces environnementales, la perspective des droits de l’homme aide à clarifier à la fois les enjeux et la manière dont les gouvernements devraient répondre.