A Madagascar, les communautés les plus directement exposées s’opposent aux plans de développement destructeurs

Femmes Mikea à Madagascar portant des tubercules de baboho, aliment de base des peuples Mikea, collectés dans la forêt. Photo: CRAAD-OI

Avec 0,1 tonne par habitant, Madagascar est l'un des pays qui émet le moins de dioxyde de carbone dans le monde. En revanche, celle que l’on surnomme « la grande île » est un haut lieu de la biodiversité abritant un écosystème précieux et sensible que le changement climatique met fortement en péril, avec plus de 1865 espèces menacées d’extinction qui représentent 80 % des espèces végétales et animales endémiques du pays. Selon l'indice mondial des risques climatiques 2020, Madagascar est le quatrième pays le plus affecté au monde par le réchauffement et les risques climatiques, notamment les événements climatiques adverses, menaçant des espèces animales uniques et un grand nombre de communautés pauvres et vulnérables qui comptent pour 80% de la population locale.

Dans ce contexte de dégradation généralisée de l’environnement naturel du pays, le plan de développement et de croissance du gouvernement malgache continue de se focaliser sur la promotion du secteur minier et agro-industriel, ainsi que sur le développement de l’économie bleue et la mise en place de zones économiques spéciales dédiées aux investissements étrangers. Par conséquent, cette stratégie de développement se distingue par son impact écologique préoccupant et l’accaparement récurrent des terres et ce aux dépends des communautés qui font entendre leur voix pour dire « non » et demandent des alternatives à ce modèle de développement afin de protéger leurs terres, leurs ressources et leurs moyens de subsistance.

La menace que ce modèle de développement fait peser sur les communautés locales et sur l’écologie est immense. Dans toutes les régions de Madagascar, l’accaparement des terres est aggravé par l’adoption de lois sur les zones économiques spéciales (ZES) et les réserves foncières dédiées au tourisme, ainsi que par les projets de compensation de la biodiversité mis en œuvre par des multinationales, comme Rio Tinto, le géant minier, en collaboration avec des ONG internationales. Les multinationales et l’État malgache sont les principaux bénéficiaires de ces projets, aux dépends des communautés affectées et de leurs territoires.

« Nous protégeons la forêt car lorsqu’elle est présente, l’eau est présente. Grâce à l’eau, l’agriculture se porte bien et les gens n’ont pas recours au charbon » déclare le militant Retsiva Antanandava. « Nous luttons contre Base Toliara car nous protégeons notre territoire. Nous n’acceptons pas qu’ils appauvrissent nos terres. En protégeant la forêt, nous protégeons nos descendants ».

Pendant de nombreuses années, les communautés malgaches ont lutté contre le projet Base Toliara d’extraction d’ilménite par une société australienne. La résistance a été menée par CRAAD-OI un collectif de femmes et FARM (Femmes en Action Rurale de Madagascar), une fédération de groupes de femmes rurales des communautés affectées. Ces groupes s’opposent au projet car il menace leur mode de vie et la forêt des Mikea, qui joue un rôle vital dans la vie quotidienne du peuple Mikea, que ce soit sur le plan spirituel, culturel, social ou économique. Parmi les plus pauvres de la planète, le peuple autochtone Mikea ne dispose que d’un accès limité aux produits de base, aux soins médicaux, à l’éducation, et à l’ensemble des services publics et ne sont quasiment pas représentés dans l’espace politique national et régional.

Malgré l’opposition catégorique qui a émergé dès le début de ce projet, le gouvernement malgache a délivré à la société une licence minière et un permis environnemental.

Le gouvernement a également déclaré Base Toliara « d’utilité publique » en juillet 2018. Les communautés affectées se sont alors mobilisées et ont organisé régulièrement des protestations et des manifestations rassemblant des milliers de personnes. Le mécontentement a atteint un point culminant lorsqu’un groupe de quarante membres communautaires ont été accusés d’avoir incendié et saccagé le camp d’exploration minière. Neuf d'entre eux furent arrêtés en mai 2019 et inculpés d’incendie criminel et de destruction de propriété et d’organisation de rassemblement non autorisé. Un seul chef d’inculpation fut retenu et ils furent libérés en juin après avoir été condamné à six mois de prison avec sursis.

En novembre, le gouvernement malgache a suspendu les activités et la communication de Base Toliara, en raison de « l’opposition des communautés locales et des conditions défavorables pour les populations ainsi que pour le gouvernement ». Toutefois, les partisans du projet minier, notamment les autorités locales et les personnes qui profitent financièrement et matériellement de Base Toliara, ont continué à minimiser l’opposition tout en utilisant les promesses d’emplois, de retombées financières et d’autres incitations pour diviser les communautés locales.

Malgré la suspension de toutes les activités de Base Toliara en 2019, en 2020, Base Toliara ne respecta pas cette décision en prenant l’apparition de la pandémie de Covid-19 comme prétexte. L’entreprise invoqua l’autorité morale que lui confère « l’importante » contribution financière apportée au gouvernement pour la lutte contre la pandémie. Mais les femmes des 12 communes affectées par le projet minier, soutenues par la majorité des 200 000 habitants, refusèrent de capituler.

 « Si la forêt meurt, nous mourrons aussi ». Une militante Mikea, 2020

Retsiva est membre du peuple Mikea du sud-ouest de Madagascar. Elle a livré, aux côtés des militantes de sa communauté, un long combat contre la mine d’ilménite depuis que ce projet a été lancé sur la place publique début 2012. Le projet minier de Base Toliara a obtenu un permis du gouvernement malgache pour une mine et trois propriétés couvrant un total de 40 753 hectares englobant les territoires de 12 communautés. Ces concessions minières couvrent plusieurs zones protégées, notamment la forêt des Mikea. Au moins la moitié de la forêt abrite plusieurs espèces animales menacées, notamment plusieurs espèces de lémuriens.

Dans la région sud-ouest, où Base Toliara est établit, les femmes et la communauté autochtone Mikea vivent presque entièrement de la chasse et de la cueillette dans la forêt des Mikea. Pour ces femmes, la forêt est sacrée et doit être exploitée avec modération et dans le respect des esprits qui y résident. Les personnes affectées par les grandes exploitations minières sont soumises à des restrictions sur l’utilisation des terres et de la forêt en lien avec l’établissement des projets miniers et de compensation écologique. La division du travail entre les sexes implique souvent que les femmes sont considérées comme étant en charge de la cueillette, de l’approvisionnement en eau et de l’aide familiale, un rôle fortement affecté par les activités minières. Lorsque les terres agricoles ne sont plus disponibles, les femmes voient généralement leur charge de travail s’alourdir afin de subvenir aux besoins de leur famille et de leur communauté.

Les efforts déployés par Base Toliara pour obtenir que le gouvernement lève sa suspension ont été incessants au cours de ces derniers mois. En avril 2020, l’entreprise a octroyé des dons au centre local de soins contre le Covid de Toliara et a été saluée par ses dirigeants qui soulignent le fait qu’elle figure parmi les principaux contributeurs à la lutte contre la pandémie.

L’entreprise a également menacé ceux qui critiquent son action. En mai 2020, la chaîne de télévision locale, Ma-TV, a diffusé un documentaire sur la façon dont les enfants ont été affectés par les activités de Base Toliara et a également signalé que l’entreprise avait outrepassé sa suspension. Le journaliste et la chaîne de télévision ont tous deux été menacés de poursuites judiciaires par Base Toliara en raison de la diffusion de ce documentaire.

Vu que le droit malgache ne protège pas encore suffisamment les droits des communautés, notamment le droit au consentement préalable, libre et éclairé, les communautés affectées doivent trouver des manières de se faire entendre. A Toliara, sous l’impulsion des militantes, ces communautés continuent de faire entendre leur opposition au projet Base Toliara et de lutter pour une interdiction définitive de la société minière sur leurs terres. « Nous ne leur donnerons pas nos terres même s’ils nous tuent ou nous tirent dessus », ont déclaré les militants. « Et nous ne partirons pas non plus car nous défendons notre territoire ».

Le cours de la dernière décennie a vu le nombre de protestations s’intensifier dans le pays en raison de l’absence d’acceptabilité sociale envers les projets agro-industriels et miniers. Les communautés les plus exposées se battent pour retrouver leur souveraineté sur leurs terres et leurs ressources naturelles. Pour revendiquer le droit de dire « non » aux modèles de développement destructeurs et dire « oui » à la vie et à la préservation de leur écosystème, de la biodiversité et de leurs territoires. En soutien aux communautés affectées, CRAAD-OI et FARM continuent de plaider en faveur d’une transition vers des alternatives de développement qui ne seraient pas nuisibles aux communautés et à l’ensemble de la biodiversité et de l’écosystème malgache, et qui bénéficieraient réellement aux communautés affectées ainsi qu’à l’État malgache. La fermeture définitive du projet Base Toliara et la fin de l’ensemble des projets destructeurs n’est que la première étape.


 

Cet article fait partie d’une série d’un blog consacré à la question de l’égalité des sexes en matière d’entreprises et de droits humains. Cette série est produite en collaboration avec le Business & Human Rights Resource Centre, l’Institut danois pour les droits humains et OpenGlobalRights. Les points de vue exprimés dans ces articles sont ceux des auteurs. Pour plus d’information sur l’actualité et les ressources en lien avec le genre, les entreprises et les droits humains, consultez ce site web.