Le Covid-19 et le devoir d’informer les populations sur les questions sanitaires

United Nations COVID-19 Response/Unsplash

Alors que la Norvège, avec ses mesures strictes, semble avoir largement réussi à enrayer le Covid-19 et à apporter une information sanitaire efficace, les rapports qui sont apparus dans les premières semaines de l’épidémie ont montré un taux disproportionné de patients issus de l’immigration vivant en milieu urbain. Si, en théorie, tous les groupes de population ont droit, sans discrimination, à la santé, malgré la traduction, réalisée très tôt, des supports d’information, l’incapacité à toucher les personnes vivant dans les communautés immigrées et à leur apporter l’information nécessaire sur la propagation du coronavirus, a donné lieu à de nombreuses critiques de la part de la société civile,  notamment des militants. Ce qui a poussé le gouvernement à financer six ONG pour leur permettre d’informer plus efficacement, ce qui déclencha de nouvelles critiques sur l’exclusion, la discrimination et l’aliénation (aucune de ces ONG n’étant spécifiquement des organisations d’aide aux immigrants). Les exemples de la Suède, de l'Allemagne, et du Royaume-Uni (ainsi que du Canada) révèlent des difficultés similaires en lien avec l’apport d’informations sanitaires inclusives et non discriminatoires. Nous pensons que c’est un des problèmes de droits humains les plus importants en lien avec la riposte au Covid-19.

L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de l’ONU ainsi que l'observation générale no. 14 sur le droit à la santé (GC14) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, exigent que l’État garantisse l’accès de tous les citoyens aux institutions pouvant fournir des thérapies, des soins et des secours. Pour le GC 14, cela implique de devoir « Assurer une éducation et un accès à l’information sur les principaux problèmes de santé de la communauté, y compris des méthodes visant à les prévenir et à les maîtriser ». Pour être disponible, accessible, appropriée, et compréhensible, l’information médicale doit prendre en compte des facteurs comme l’âge, le sexe, la langue, le niveau social, le niveau d’éducation, les croyances culturelles, et les personnes handicapées au sein des différents groupes de population. Ce qui nécessite une approche participative à la conception de mesures touchant à la santé et à l’information.

Les données empiriques montrent que les programmes d’information qui, sur le papier, semblent identiques pour tous peuvent avoir des effets différents pour divers groupes de population.

Si l’égalité formelle est basée sur le principe que des cas identiques reçoivent un traitement similaire, l’égalité substantielle exige que des cas différents reçoivent un traitement différencié. Les données empiriques montrent que les programmes d’information qui, sur le papier, semblent identiques pour tous peuvent avoir des effets différents pour divers groupes de population et engendrer ainsi une discrimination indirecte ou systémique.

Les autorités nationales disposent d’une grande marge de manœuvre pour décider des mesures d’information qui, selon les circonstances, sont les mieux adaptées pour combattre la propagation du Covid-19. Dans ce qui suit, en utilisant la Norvège comme exemple, nous insistons sur sept éléments essentiels à une approche sociale et économique concrète et inclusive de l’information médicale :

  1. Les plans nationaux de santé doivent intégrer pleinement la dimension de diversité socio-culturelle en amont des crises. Le plan national de préparation norvégien pour les maladies infectieuses a, depuis de nombreuses années, été critiqué par la société civile qui lui reproche de ne pas prendre suffisamment en compte la diversité sociale. De plus, le Comité des droits économiques sociaux et culturel a appelé la Norvège à mieux informer ses minorités sur les droits à la santé.    
     
  2. Les stratégies nationales d’information doivent tenir compte des moyens d’informations les plus adaptés pour atteindre les différents groupes de population. Si les réseaux sociaux ont rendu l’information plus accessible, la familiarité avec les outils numériques et la capacité à accéder à l’information en ligne diffèrent. Réfléchir aux canaux d’information pertinents revient à cibler les métiers fortement exposés qui emploient les immigrants, comme les chauffeurs de taxi, les chauffeurs de bus, les professionnels de la santé, ceux qui travaillent dans le commerce, ou le personnel de ménage.
     
  3. L’information doit être traduite dans les langues parlées par les différents groupes de population et diffusée via les canaux numériques et analogiques adéquats. Par conséquent, les affiches diffusant des informations publiques importantes (sur les bus ainsi que dans les lieux publics et l’ensemble des commerces) doivent être disponibles dans plusieurs langues dans les quartiers où vivent les immigrants. Ces informations doivent être à jour. Si le site web de l’Institut norvégien de santé publique fournissait des informations traduites dans plusieurs langues peu après l’annonce de mesures nationales, les efforts visant à atteindre les communautés immigrées n’ont pas été suffisamment systématiques et ciblés.
     
  4. Pour être pertinente, l’information doit tenir compte des conditions de vie des divers groupes de population. Un facteur important est celui de la taille du logement, étant donné que, par exemple, 38 % des Norvégiens d'origine somalienne vivent dans des logements surpeuplés. Dans de telles circonstances, l’information habituelle sur la distanciation sociale n’est pas appropriée. En revanche, des informations concrètes sur les mesures que peuvent prendre les gens qui vivent dans des zones peuplées sont nécessaires. Nous savons, par exemple, qu’au sein de la famille, la conception des rapports homme-femme a un impact lorsqu’il s’agit de déterminer qui est le plus susceptible de faire entrer le virus au sein du foyer ou qui va prendre en charge l’hygiène, le ménage et les soins.
     
  5. Les informations sur la manière de se protéger contre l’infection devraient être communiquées de manière respectueuse et compréhensible. Si une traduction de documents de santé publique dresse une liste d’établissements de soins méconnus dans la communauté et utilise un langage technique et bureaucratique, le message risque de se perdre pour laisser place à l’incompréhension. Une traduction « culturelle » des mesures de prévention de la propagation de l’infection, avec des exemples concrets susceptibles d’être compris, peut également s’avérer nécessaire. Une difficulté connexe est que certaines personnes perçoivent la maladie et la mort comme des événements guidés par le destin ou résultant d’une punition sanctionnant le non-respect de normes sociales, religieuses ou culturelles. Dans ce cas, mieux communiquer est possible en travaillant avec des experts qui connaissent les diverses croyances religieuses, sociales et culturelles ainsi que les visions du monde.
     
  6. La désinformation sur la propagation du Covid-19, ainsi que les théories de la conspiration qui sont diffusées sur les réseaux sociaux, sont un véritable défi pour la majorité ainsi que pour les minorités. Mais cette question peut exiger des approches de santé publique différenciées pour réfuter et rectifier les fausses informations sur les risques sanitaires, les stratégies d’atténuation du risque et les traitements.
     
  7. Pour finir, les campagnes d’information basées sur une communication unidirectionnelle sont rarement efficaces. L’information, dans son contenu et sa structure, devrait être développée conjointement avec les communautés affectées ainsi qu’avec les organisations dotées de compétences linguistiques et culturelles, qui connaissent les communautés d’immigrants et qui bénéficient de leur confiance.

Le cas norvégien n’est pas unique. Il illustre parfaitement les limites des campagnes standardisées d’information de santé publique. Il montre également que l’arsenal juridique n’est qu’un point de départ : pour promouvoir l’accès universel à l’information sanitaire, les plans nationaux de préparation doivent intégrer la dimension de diversité socio-culturelle en amont d’une crise.