Mettre les gens au cœur du système des organes conventionnels relatifs aux droits humains

Depuis des décennies, des appels à ce que les organes conventionnels organisent leurs sessions au plus proche du terrain sont lancés. La première session de ce type s’est récemment tenue dans le Pacifique et a clairement confirmé l’énorme potentiel de cette pratique ainsi que certains obstacles mineurs.

La genèse de cette session remonte à la nomination de Justice Vui au Comité des droits de l’enfant, le premier, et à ce jour le seul, polynésien à faire partie d’un organe conventionnel. Justice Vui était déterminé à faire venir le Comité aux Samoa et, début 2019, tout un faisceau de circonstances a rendu cela envisageable. La possibilité de financement et d’aide se matérialisa via l’Équipe régionale d’éducation en matière de droits de la personne de la Communauté du Pacifique, coïncidant avec l’opportunité de mettre en évidence des bonnes pratiques pouvant inspirer le fonctionnement de l'examen des organes conventionnels.  

Les attentes étaient très fortes car nous étions conscients que cet évènement pouvait constituer l’unique occasion d’évaluer et de démontrer l’avantage de délocaliser, au niveau régional, les sessions des organes conventionnels.

Toute anxiété au sujet de ce qui pouvait arriver s’estompa avant même le début de la session. Un tournoi scolaire national de débat précéda les sessions officielles, donnant à des centaines de jeunes scolarisés l’opportunité d’échanger sur des sujets prévus à l’ordre du jour de la 84è session extraordinaire de sensibilisation du Comité des droits de l’enfant. Cet évènement a également préparé les élèves et les étudiants à s’investir activement, à animer d’autres évènements à venir et à jouer un rôle d’observateur. Au fil de la progression des débats, il est rapidement devenu clair que la réussite de la session reposait sur les enfants et la multitude d’expérience réelles et vécues qu’ils partageaient.

Au cours des semaines suivantes, les enfants furent au premier plan en partageant leurs pensées, leurs préoccupations et leurs aspirations avec le Comité au cours de sessions formelles ou d’événements parallèles ou périphériques. Ces enfants expliquèrent ce par quoi passait une jeune fille de 14 ans qui, au moment de la puberté, se voyait dire d’adopter une tenue discrète pour éviter d’être agressé sexuellement. Ils réfléchirent sur leur culture en tant qu’élément freinant ou facilitant la jouissance de leurs droits. Ils n’hésitèrent pas à dire que la punition corporelle était commune pour eux. Ils donnèrent un avis pertinent et réfléchi sur un grand nombre de questions et suggérèrent des solutions concrètes et adaptées au contexte qui est le leur.

« Cela n’a rien à voir avec la lecture d’un rapport. Il est possible de bien mieux ressentir et comprendre lorsque les gens ont la parole ».

Amal Al-Dosari, Membre du Comité des droits de l’enfant

En plus de la présence des enfants, les ONG du Pacifique convergèrent sur la ville d’Apia et une foule importante assista à chaque session publique du Comité. Des évènements parallèles furent organisés presque continuellement et les journaux nationaux et régionaux publièrent chaque jour de nombreux articles sur l’évènement et différentes problématiques en lien avec les droits de l’enfant. La semaine suivante, deux membres du Comité voyagèrent au Vanuatu et aux Fidji pour participer à des rencontres et donner des conférences publiques dans les universités nationales. Au total, plus de 1000 personnes étaient directement impliquées dans la procédure d’examen et des milliers d’autres avaient lu des articles sur son déroulement ou l’avait regardé en direct.

Tout le Pacifique était concerné par le déroulement de la session de la Convention sur les droits de l’enfant. Les membres du Comité, ainsi que les enfants, déclarèrent en être ressortis complètement changés.

S’éloigner à ce point des pratiques habituelles revenait inévitablement à devoir surmonter un certain nombre d’obstacles. Pour ce qui est de la préparation de la 84è session du Comité, ces obstacles entraient en deux grandes catégories : l’opposition aux sessions régionales et la logistique. Le problème de l’opposition a été résolu grâce au courage de l’Équipe régionale d’éducation en matière de droits de la personne de la CPS, de leurs donateurs, de Justice Vui et des principaux partisans de la remise en cause du statu quo, ainsi que grâce à une vision claire de ce que l’on voulait accomplir en termes de résultats et des modes d’évaluation de ces résultats. Les problèmes logistiques furent gérés par le comité de planification via une forte collaboration entre l’Équipe régionale d’éducation en matière de droits de la personne de la CPS, le gouvernement des Samoa, le bureau de la Convention sur les droits des enfants, le HCDH, le Bureau du Coordonnateur résident des Nations unies aux Samoa et l’UNICEF.

Des améliorations étaient également possibles dans certains domaines et des enseignements pouvaient être tirés : par exemple, une plus grande participation des groupes marginalisées aurait pu être facilitée, et une représentation régionale plus équilibrée aurait été bénéfique. Il est également incontestable que tout examen n’impliquant que le Comité, son secrétariat et les délégations étatiques serait moins coûteux à Genève que ce n’est le cas aux Samoa.

Cependant, le coût ne devrait pas être un argument utilisé à l’encontre du concept de sessions régionales. La 84è session du Comité a montré le potentiel retour sur investissement de cette approche si son succès est mesuré à l’aune du degré de mise en œuvre de la convention. Beaucoup de ce qui a été accompli aux Samoa n’aurait pas pu l’être à Genève, ce qui plaide pour appliquer plus résolument la Convention sur les droits de l’enfant ainsi que les dispositions sur les autres droits humains :

  • Le renforcement de la capacité des ayant droits à défendre leurs propres droits ainsi que les droits des autres ;
  • Un environnement plus propice au dialogue fructueux, favorisé par une large participation des acteurs régionaux ;
  • Un comité mieux informé et mieux armé pour générer des observations finales qui soient contextualisées, pertinentes et donc susceptibles de bénéficier du soutien politique et citoyen au niveau local ;
  • Une large couverture médiatique entraînant une meilleure visibilité et une compréhension plus forte du travail du Comité ;
  • Des organisations de la société civile renforcées et de nouveaux partenariats de mise en œuvre.

En fait, en observant le déroulement des évènements au cours de la semaine, on ne pouvait s’empêcher de voir clairement les facteurs favorisant la bonne mise en œuvre. Tout ce qui s’est passé a reposé sur une plus grande participation des intervenants et des occasions plus nombreuses de s’impliquer, en particulier pour les enfants.

À l’avenir, en affinant cette approche, certaines problématiques, qui n’ont pas concerné la 84è session du Comité, vont certainement surgir. Le risque d’être confronté à des représailles ou à toute forme de répression était dans ce cas minime mais cela pourrait ne pas toujours être le cas. Cependant, les soucis d’ordre sécuritaire ou logistique peuvent généralement être résolus et ne doivent pas justifier l’inaction. Après tout, les Samoa sont un des pays les plus éloignés de Genève, un pays qui sortait d’une épidémie de rougeole alors que les frontières se fermaient en raison du Covid-19. Cependant aucun de ces problèmes ne s’est avéré être insurmontable.

Le système des organes conventionnels repose sur un partenariat entre le pays qui fait l’objet de l’examen (les détenteurs de droits, la société civile, les INDH, et les délégations étatiques) et les experts du système des organes conventionnels. Le fait d’arriver à un meilleur résultat lorsque toutes les parties concernées peuvent participer et faire directement entendre leur voix ne devrait par conséquent pas être surprenant.

La région du Pacifique bénéficie d’une riche culture oratoire, de prise de décision participative et d’ouverture au dialogue. Malgré l’éloignement, les Samoa étaient le lieu parfait pour la 84è session du Comité :  la culture polynésienne s’est invité dans les débats dès la levée du soleil sur l’océan, lorsque le président du Comité onusien des droits de l’enfant a brandi une coque de noix de coco emplie de boisson ‘ava au-dessus de sa tête, devant les chefs matai, pour marquer l’ouverture de la session. Cette ambiance spécifique a favorisé un débat constructif et permis de mieux apprécier le contexte national. Le dialogue fut enrichi d’une dose supplémentaire de couleur, de compassion et d’empathie. Le fait que, en allant à la rencontre des régions, les organes conventionnels peuvent, grâce à la culture et aux pratiques locales, appliquer les conventions plus efficacement, et de manière plus éclairée, fut ainsi mis en évidence.

La 84è session du Comité démontre avant tout l’avantage et la nécessité d’une approche centrée sur l’humain. Plus d’un millier de polynésiens a participé directement au dialogue avec le Comité montrant que lorsque les premiers concernés par une Convention (ici, les enfants) sont au cœur du fonctionnement des organes conventionnels, cela change radicalement les choses en matière de compréhension, d’appropriation et de mise en œuvre.

On dit souvent que notre diversité fait notre force. Grâce à la 84è session du Comité, cette diversité a, tout comme le soleil de l’Océanie, brillé de mille feux.

 


L’Équipe régionale d’éducation en matière de droits de la personne de la CPS procède à un examen qui va décrire et analyser la procédure, les résultats obtenus et les domaines d’amélioration. Cet examen est mené en concertation avec les parties impliquées dans la planification et le déroulement de la 84è session du Comité. Pour recevoir une copie de l’examen lorsque celui-ci sera publié, veuillez contacter ashleyb@spc.int.