Comment les droits des femmes peuvent-ils être soutenus par les plans d’action nationaux relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ?

CIAT/Flickr (CC BY-SA 2.0)

Les États mettent actuellement en place des plans d’action nationaux (PAN) qui sont un instrument majeur au service de la mise en œuvre, au niveau national, des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU). Pour faciliter la mise en œuvre des PDNU, qui furent unanimement approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2011, les États ont été invités par le Conseil des droits de l’homme et par le Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme de l’ONU, ainsi que par des acteurs régionaux, comme l’Union européenne et l’Organisation des États américains, à développer des PAN. Selon les estimations, 23 pays dans le monde ont publié un PAN et dans des dizaines d’autres pays, des PAN sont en cours de développement ou des initiatives non étatiques sont en place afin de contribuer au développement de PAN.  

Cependant, à ce jour, les PAN n’ont pas réussi à prendre correctement en compte le genre et les droits des femmes. Pourquoi est-ce un problème ? Et comment les processus de PAN peuvent-ils être renforcés afin de contribuer de manière significative à parvenir à l’égalité des genres ?

Les PAN qui ne font pas de distinction entre les sexes nuisent à l’engagement des États envers l’égalité des genres

Les PAN qui ne font pas de distinction entre les sexes nuisent sans doute à l’engagement actuel des États à parvenir à l’égalité des genres. Si les PAN sont des instruments de politique qui sont plus au service de la mise en œuvre des PDNU que de la non-discrimination et de l’égalité, il est toutefois clairement établi que la mise en œuvre des PDNU doit être sensible aux questions de genre. Ne pas tenir compte des droits des femmes et des filles dans les PAN et apporter des réponses à ces questions va à l’encontre des engagements des États en faveur de la non-discrimination et de l’égalité en vertu du droit international des droits humains et conformément au Programme de développement durable à l’horizon 2030. De ce fait, les PAN qui ne font pas de distinction entre les sexes ratent une occasion unique de contribuer à l’égalité des genres.

Des mesures concrètes de lutte contre la discrimination liée au genre doivent être incluses dans les PAN

Une analyse réalisée en 2018 montre que, dans l’ensemble, les PAN n’apportent pas de réponses concrètes aux droits des femmes et des filles. Les droits des femmes et des filles, ainsi que les inégalités de genre, sont mentionnés en matière d’emploi, mais en dehors de cela, ce sujet est rarement abordé. Ce qui est encore plus vrai concernant les réponses concrètes à apporter dans la mise en œuvre des PDNU. L’analyse sexospécifique des sujets essentiels dans les PAN (comme l’emploi et le droit du travail, la terre et les ressources naturelles, les services essentiels, le commerce et l’investissement, et l’accès aux voies de recours) montre qu’il est important que les processus de PAN traitent de ces sujets dans une perspective de genre.

Au niveau national, par exemple, les droits fonciers des femmes ne sont souvent pas reconnus ou leur mise en œuvre est compromise, ce qui pose problème pour les activités commerciales qui s’inscrivent dans le respect des droits fonciers des femmes, notamment en matière de consultation, de négociation ou de relocalisation.

Dans le domaine de l’accès aux voies de recours, si les femmes et les hommes sont confrontés à un grand nombre d’obstacles similaires, les femmes peuvent être particulièrement marginalisées. Par exemple, les défenseurs des droits des femmes font face à des risques spécifiques car ils remettent fréquemment en cause non seulement les intérêts commerciaux, mais également les normes culturelles et les attentes.

Exemples de processus de PAN au Kenya

Au Kenya, le processus de PAN est bien avancé. Un projet final a été publié par le ministère de la Justice en juin 2019 et est actuellement devant le Conseil des ministres pour approbation.

Dans ce PAN, le genre et les conséquences sexospécifiques ont été intégrés au processus et au résultat. Les Consultations ont constitué une étape clef du PAN car elles ont aidé à identifier les thèmes et les risques en matière de droits humains ainsi que les inégalités et les réponses à apporter. Les consultations furent tenues dans huit régions différentes afin de toucher un maximum de personnes et de veiller tout particulièrement à la participation des femmes (et également d’autres acteurs, comme les travailleurs occasionnels) pour s’assurer que leur point de vue sur les problèmes et les solutions possibles soit pris en compte.

Les Consultations ont constitué une étape clef du PAN car elles ont aidé à identifier les thèmes et les risques en matière de droits humains ainsi que les inégalités et les réponses à apporter.

Pourtant, l’inégalité entre les genres reste un défi majeur au Kenya. Le pays a été classé au 76ème rang (sur 149) dans le rapport 2018 sur l'égalité des sexes publié par le Forum économique mondial. Les activités commerciales ont diverses conséquences négatives sur les femmes kenyanes, ce qui aggrave la discrimination et les inégalités actuelles fondées sur le genre qui sont elles-mêmes renforcées par cet impact négatif. Par exemple, le développement de l’industrie extractive, et la pression foncière qui en résulte, affecte fortement les femmes et leur niveau de participation en raison des éléments suivants : les immenses disparités en termes de propriété foncière (une analyse de 2018 de l’organisation Kenya Land Alliance a conclu que les femmes ne détiennent que 10,3 %  des titres de propriété délivrés, ce qui représente seulement 1,62 % de la surface totale), la méconnaissance des cadres juridiques pertinents, et l’existence de normes socioculturelles sexistes excluant les femmes de la prise de décision et des indemnisations.

En outre, la participation des femmes au marché du travail est réduite dans un contexte marqué par les  disparités de revenu, une protection de la maternité bafouée, le harcèlement sexuel, la méconnaissance des droits, et le faible respect de la réglementation par les agences de recrutement des travailleurs migrants (qui recrutent un nombre important de femmes). Il existe d’autres sujets préoccupants en matière d’égalité des sexes, notamment les conséquences négatives de la pollution et de la dégradation environnementale sur les moyens de subsistance (ce qui est vital car plus de 80% des femmes vivent de leur travail dans de petites exploitations agricoles) ou encore l’accès aux voies de recours car l’accès des femmes au système judiciaire est limité par des facteurs socioculturels ainsi qu’en raison du coût des démarches ou de la méconnaissance du droit.

Par conséquent, les mesures politiques recommandées dans le PAN visent à s’attaquer non seulement aux risques spécifiques qui pèsent sur les femmes dans le cadre des activités commerciales mais également, plus largement, à réduire les inégalités entre les sexes. La recommandation concernant l’élaboration de directives procédurales sur la négociation de l’accès à la terre vise à assurer la participation des femmes et d’autres groupes vulnérables, ce qui peut également briser les obstacles culturels à la participation des femmes à la vie publique. De même, l’appel à mettre en œuvre la loi sur l’aide juridique et à développer des orientations, sur des mécanismes opérationnels d’examen des plaintes prenant en compte les conséquences sexospécifiques, pourrait aider à améliorer l’accès des femmes à la justice.

La mise en œuvre du PAN sera assurée par un Comité dont la première mission sera d’élaborer une matrice précisant les actions à mener à bien dans le cadre de chaque mesure politique ainsi que les indicateurs de performance. Le Comité doit prendre en compte la question de l’égalité des sexes abordée dans le PAN et aller plus loin tout en créant des liens entre les politiques internationales et nationales dont le but est de promouvoir les droits des femmes et l’égalité des sexes.

Et maintenant ?

Vu que les PAN sont aujourd’hui des instruments de politique majeurs dans la mise en œuvre, au niveau national, des PDNU, leur contenu doit désormais absolument prendre davantage en compte la question de l’égalité des sexes. Des dispositifs comme le Groupe de travail sur les directives sur l'égalité des sexes ainsi que l’exemple de certains pays, comme le Kenya et son processus de PAN, peuvent constituer des ressources essentielles pour les acteurs impliqués dans les PAN, y compris les États, les entreprises et la société civile. Tandis que des structures de suivi des PAN, que ce soit au niveau national ou via le développement de modèles d’évaluation par les pairs, sont mises en place, intégrer une perspective de genre sera tout aussi essentiel afin que les PAN facilitent une mise en œuvre des PDNU qui soit véritablement sensible aux questions de genre.

 


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