Les sessions virtuelles de la Commission africaine peuvent-elles améliorer la participation de la société civile ?

En raison de la pandémie de Covid-19, les organes internationaux et régionaux de défense des droits humains furent, dans un premier temps, contraints de reporter, suspendre ou annuler leurs activités. Aujourd’hui, ces derniers ont, pour la plupart d’entre eux, commencé à organiser des sessions virtuelles. Cette nouvelle pratique présente des opportunités et des défis uniques en matière de participation de la société civile comme l’a montré la 66ème session ordinaire (virtuelle) de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) qui s’est tenue de mi-juillet à début août.

Le premier problème qui se pose avec les rencontres en personne relève de la géographie.

Marquant une première dans l’histoire de la CADHP, la session ordinaire virtuelle a eu un « effet démocratisant » en surface. Tout le monde pouvait s’y joindre car une simple inscription en ligne suffisait à accéder à la plateforme virtuelle. Cependant, seules les ONG dotées du statut d'observateur pouvaient faire une déclaration orale. La participation était également facilitée par la courte durée des journées (quatre heures, de 09h00 à 13h00 GMT) permettant de se joindre à la session malgré le décalage horaire. Cela rendait également possible le fait de participer à la session tout en menant à bien ses activités professionnelles habituelles. Les séquences ouvertes au public étaient diffusées en direct. Les débats furent enregistrés avec la possibilité de les écouter en ligne.  

La session virtuelle a également fait tomber de vieilles barrières nuisant à la participation de la société civile. Elle a instantanément résolu le problème du coût élevé des sessions physiques ainsi que celui de la difficulté d’accès. Bien que la CADHP organise des rencontres dans différentes villes, la plupart des sessions se tiennent à son siège, à Banjul, en Gambie. Isolée, Banjul est une des villes les plus difficilement accessibles du continent.  

Le premier problème qui se pose avec les rencontres en personne relève de la géographie. Il n’est pas rare pour les participants de pays africains à la session de la CADHP de voyager via l’Europe ou le Moyen-Orient, car peu de compagnies aériennes proposent des vols directs entre Banjul et d’autres villes africaines. La difficulté d’accès à Banjul devint apparente en avril 2016 lorsque Brussels Airlines annula ses vols après une attaque terroriste à l’aéroport de Bruxelles. De nombreux participants, en route vers la 58ème session de la CADHP, furent bloqués. En tant que représentant d’Amnesty International voyageant pour assister à la session, j’ai pris l’avion de Nairobi à Dakar en passant par Bamako. Ma correspondance ayant été annulée, j’ai passé la nuit à Dakar. Le jour suivant, j’ai fait cinq heures de route en taxi pour me rendre à la frontière gambienne. De là, à bord d’un ferry, j’ai traversé le fleuve Gambie pour me rendre à Banjul.  

Voyager à Banjul, ou ailleurs sur le continent, pour assister aux sessions de la CADHP est onéreux. Les organisations sont nombreuses à ne pas avoir les moyens de faire face au coût élevé de participation. Celles qui trouvent les ressources nécessaires sont obligées de limiter leur présence à quelques jours seulement et de manquer des séances importantes ainsi que d’organiser des actions de plaidoyer tout en étant pressées par le temps.   

Une deuxième problématique avec les sessions en personne touche à la sécurité. Les gouvernements des pays hôtes imposent parfois des restrictions injustifiées à la participation de la société civile. En Égypte, plusieurs acteurs de la société civile se sont vu refuser leurs visas d’entrée. D’autres ont, à juste titre, craint pour leur sécurité et ont boycotté la session. Des représentants indépendants de la société civile égyptienne sont restés à l'écart par crainte de représailles alors que ceux qui ont participé se sont plaint d’avoir été l’objet d’une surveillance et d'intimidations. Le même type d’actions ont été constatées en Mauritanie et en Angola, et ont été décrites dans ce document ainsi que dans celui-ci.  

La session virtuelle a ainsi donné à la société civile la possibilité de participer presque sans frais et sans avoir à gérer les nombreux obstacles habituels qui se posent en termes d’accès. Tout s’est bien déroulé malgré certains problèmes occasionnels au niveau de la technologie et des traductions. Paradoxalement, les ONG ont été peu nombreuses à se joindre à la session. Le communiqué final montre qu’un total de 189 représentants d’ONG étaient présents, soit une chute de 50 % de la participation de la société civile par rapport à la session précédente. Vu que la session s’est tenue en plein pandémie, cette forte baisse n’est pas surprenante. Cependant, cela va à l’inverse de l’idée que les sessions virtuelles facilitent la participation.  

L’inverse pourrait tout aussi bien s’avérer être vrai, principalement car le taux de pénétration de l'internet en Afrique est faible, à 39,3 %, soit 19,5 points au-dessous de la moyenne mondiale. Sans surprise, plusieurs représentants ont connu des problèmes de connexion au moment de faire leur déclaration lors de la session virtuelle. Par exemple, un représentant basé dans la vallée du Rift au Kenya n’a pas réussi à faire sa déclaration au nom de l’ONG Forest Peoples Programme en raison d’une mauvaise connexion internet. La déclaration a finalement été délivrée par un collègue situé dans un autre pays.  

Le problème du faible taux de pénétration de l’internet est accentué par les perturbations ou les coupures de réseau décidées par les gouvernements. En 2019, pas moins de 19 pays africains ont bloqué l’accès à internet pendant plus de sept jours. Cette année a déjà vu son lot de coupures, notamment en Éthiopie où tout le pays s’est retrouvé sans internet en juillet, ce qui a eu un impact direct sur la session de la CADHP. De nombreux acteurs basés dans le pays ne pouvaient en effet pas s’inscrire et participer à la session. 

La session virtuelle de la CADHP a ainsi montré les limites de la technologie. Les sessions virtuelles peuvent encore davantage exclure ceux qui avaient déjà du mal à accéder aux organes conventionnels des droits humains. En Afrique, cette éventualité peut être réduite si les États mettent pleinement en œuvre la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique de la CADHP qui exige que ces derniers facilitent l’accès à Internet et qu’ils n’interfèrent pas dans son bon fonctionnement. 

La CADHP doit également résoudre un problème qui n’est pas nouveau et qui concerne l’organisation et la communication. L'annonce de la session virtuelle a été publiée sur le site Web de la CADHP et sur Twitter le 27 juin, soit deux semaines seulement avant qu’elle ne commence. Cette annonce ne mentionnait pas le lien permettant de s’inscrire et qui n’a été indiqué que juste avant la date de début de la session. Ce court délai n’a laissé que très peu de temps pour se préparer et a perturbé les organisateurs du Forum des ONG. Les ONG n’avaient que peu de marge de manœuvre pour organiser des événements parallèles. Si les futures sessions virtuelles se veulent être plus accessibles et inclusives, diffuser l’information en temps utile est essentiel pour rallier autant de participants que possible.  

Cependant, une approche plus viable pourrait consister à associer le virtuel et le non virtuel ou à alterner entre ces deux types de sessions qui ont leurs propres avantages et inconvénients. Nous devons tirer profit de leurs avantages tout en réduisant les problèmes qui peuvent se poser. Dans ce cas, la toute première session virtuelle, provoquée par la situation pandémique, pourrait être annonciatrice de sessions plus accessibles et inclusives de la CADHP à l’avenir.