Le coronavirus et le droit à la participation politique en ligne

La pandémie de Covid-19 à un énorme impact dans de nombreux domaines de notre vie économique et sociale, et en premier lieu dans notre vie numérique. L’utilisation d’Internet atteint des sommets dans le monde, et nous adoptons de nouvelles manières d’utiliser le Web. L’infrastructure Internet est soumise à rude épreuve, en particulier dans les pays en développement.

Certaines entreprises, notamment Atlassian, Trello, et Okta, ont répondu en donnant accès à leurs services gratuitement. Néanmoins, vu l’énorme demande, des analystes, notamment l’inventeur du World Wide Web, ont affirmé que la pandémie marque un tournant décisif pour les droits Internet.

Dans cet article, je me penche sur la manière dont la pandémie de Covid-19 affecte l’utilisation d’Internet, et la réponse apportée par les entreprises ainsi que par les gouvernements. Je soutiens qu’en faisant de l’accès à Internet un droit humain, une participation plus égalitaire au débat public est possible, en particulier dans les pays où l’accès à la liberté d’expression est aujourd’hui limité. De ce droit au débat public découlent d’autres droits humains, comme le droit à l’éducation, à l’expression, et à l’association, qui sont plus importants que jamais dans cette époque inédite.

La pandémie et l’utilisation d’Internet

Une étude récente de la revue MIT Technology Review donne des chiffres sur la hausse de l’utilisation du Web au cours de ces derniers mois. De nombreuses personnes devant aujourd’ travailler de leur domicile, les énormes pics dans le trafic Internet (d’environ 25 % dans de nombreuses grandes villes) qui ont été constatés ne sont pas surprenants.

Au-delà de ce chiffre, nous pouvons également constater un certain nombre de tendances intéressantes sur l’utilisation du Web pendant le confinement. Le recours aux logiciels de vidéoconférence a explosé, avec plus de personnes utilisant le logiciel de vidéo-conférence Zoom au cours des deux premiers mois de 2020 que dans toute l’année 2019. Le streaming vidéo a augmenté de plus de 12 %, selon les analyses d’Omdia, qui prédit également une chute des revenus publicitaires télévisés. Les logiciels de télétravail ont également vu leur utilisation augmenter fortement. Cette hausse concerne les applications de travail collaboratif, mais également d’autres systèmes conçus pour faciliter le travail à distance, comme les systèmes de facturation et les plateformes de publicité en ligne.

En temps de crise, il est encore plus essentiel que les citoyens puissent faire entendre leur voix, et qu’ils disposent d’une plateforme leur permettant de veiller à ce que leur gouvernement rende des comptes.

La pandémie fait évoluer la manière dont le Web est utilisé ainsi que le profil des utilisateurs. Une étude du gouvernement britannique a conclu que plus d’un tiers des personnes âgées de plus de 65 ans n’avaient jamais utilisé Internet avant la crise sanitaire. Une recherche similaire de l’organisme britannique de régulation des médias a souligné que l’inclusion numérique demeure limitée pour ceux qui sont en situation de fragilité financière.

La réponse

Face à ces évolutions, la réponse des gouvernements et des entreprises à été pour le moins inégale. Certaines entreprises, notamment NetFlix, ont pris les devants en réduisant très tôt la qualité de leur service de streaming vidéo afin de garantir que la vitesse du réseau reste relativement élevée. D’autres ont réagi en offrant des avantages financiers à leurs clients. Aux États-Unis, Comcast a ouvert gratuitement son réseau de hotspots Wifi à tous les utilisateurs, qu’ils soient clients ou non de l’entreprise. Comcast a également supprimé les limites de données et a adopté une approche conciliante envers les retards de paiement.

Malheureusement, ce type d’avantage financier n’a pas été constaté dans les pays en développement. Non seulement ces pays ne disposent pas de l'infrastructure permettant de gérer de fortes hausses de l’utilisation du Web, mais de plus, les entreprises et les gouvernements n’ont pas semblé s’intéresser à l’idée d’aider les clients forcés à s’isoler chez eux. Ce qui pourrait entraîner une hausse des inégalités dans le domaine de l’accès à l’information et de la participation politique.

D’autres problématiques ont été mises en évidence par la pandémie. Par exemple, le fait que si les citoyens n’ont jamais été aussi sensibles à la sécurité de leurs données, ils n’ont cependant souvent pas fait attention au type de logiciel utilisé en raison du besoin urgent de trouver des solutions faciles et rapides pour travailler à distance. Le service de vidéoconférence Zoom, qui a vu son trafic journalier augmenter de 535 % au cours du mois dernier, a particulièrement été sous le feu des critiques au sujet de la protection des données clients, certains analystes l’accusant même d'être un malware. L’entreprise a depuis répondu en achetant Keybase, une société spécialisée dans le cryptage de bout en bout, et en annonçant une série de mesures visant à améliorer la  transparence, notamment via la « préparation d’un rapport de transparence détaillant les informations relatives aux demandes de données, d’enregistrement ou de contenu ».

Enfin, il faut également rappeler que la politique ne s’est pas arrêtée avec la crise. De nombreux pays dans le monde, y compris aux États-Unis, sont en train d’organiser des élections locales et générales et la pandémie a déplacé le débat du monde physique vers la toile. Internet est devenu un facteur d’inclusion politique très important : selon une étude du Pew Research Center, aux États-Unis, 66 % des utilisateurs des réseaux sociaux n’hésitent pas à s’engager dans des activités politiques ou civiques et à appeler à voter. Mais vu les inégalités qui demeurent en matière d’accès à la toile, certains s’inquiètent que le fait de compter sur le Web pour le débat politique risque de recréer les mêmes inégalités en matière de participation politique.

Les arguments en faveur du libre accès à Internet

La solution à cette dernière problématique, pour certains analystes, est de rendre l’accès à Internet gratuit, et de protéger cet accès comme un droit humain. Parmi les partisans de cette évolution, Citizens Online, une organisation caritative qui fait campagne contre l’exclusion numérique, a exhorté le gouvernement britannique à abandonner toute forme de censure et rendre Internet gratuit pour tous dans le pays durant  la pandémie. D’autres experts réfléchissent sur la manière d’utiliser le droit international relatif aux droits humains afin d’élargir les protections à diverses violations des droits, notamment l’exclusion politique.

Ces arguments s’appuient sur ceux qui ont été développés au cours de cette dernière décennie. En 2016, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution précisant que « les mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne doivent être aussi protégés en ligne ». Certains universitaires sont d’accords avec ce point de vue : Merten Reglitz, maître de conférences en éthique mondiale à l’université de Birmingham, a récemment publié une étude affirmant que l’accès à Internet est un droit humain moral, et devrait, par conséquent, être fourni gratuitement à ceux qui n’ont pas les moyens de se l’offrir.

D’autres analystes sont allés encore plus loin. Il ne suffit pas, disent-ils, de se contenter de protéger l’accès à Internet en tant que droit humain. Les gouvernements et les organisations internationales doivent également encourager la participation directe de leurs citoyens à la vie politique en ligne. Les services d'hébergement Web à prix réduit ont donné à de nombreuses personnes (même dans les pays en développement) une plateforme pour faire part de leurs opinions politiques, une évolution qui devra être soutenue afin de protéger les normes démocratiques dans les années à venir.

L’avenir

Reste à savoir si ces arguments vont se traduire en une action politique directe. Ce qui est cependant certain est que nous ne pouvons pas laisser la pandémie de Covid-19, peu importe sa gravité, nuire au droit à la participation politique. En temps de crise, il est encore plus essentiel que les citoyens puissent faire entendre leur voix, et qu’ils disposent d’une plateforme leur permettant de veiller à ce que leur gouvernement rende des comptes.

La crise actuelle risque de reléguer cette nécessité aux oubliettes. Bien que les gouvernements soient, à juste titre, focalisés sur la lutte contre la pandémie, nous ne pouvons pas laisser cela devenir une excuse pour réduire encore plus fortement la liberté d’expression. Au contraire, nous devons reconnaître le rôle joué par la technologie dans la création de liens entre des groupes hétérogènes de la société civile et chercher à s’assurer que l’accès à cette technologie soit reconnu comme étant un droit humain.

Sans la liberté d’expression, qui est aujourd’hui synonyme d’accès à Internet, la démocratie meurt. Aucune pandémie ne justifie de payer un tel prix.