Lutte contre le Covid-19 : le temps d’une relance économique mondiale basée sur les droits est venu

Nathalia Aguilar/EFE

Les gouvernements du monde entier s’efforcent de gérer les effets économiques de la crise du Covid-19, avec des différences flagrantes dans la réponse qu’ils apportent. Premièrement, le contraste est saisissant entre les diverses interventions financées par les gouvernements et leurs conséquences sur les droits humains.

Deuxièmement, la capacité des gouvernements à mettre en place ce type d’intervention est très hétérogène. Les obligations relatives aux droits humains ont rarement été mentionnées dans les débats sur ces interventions. Néanmoins, elles sont primordiales pour déterminer ce que les pouvoirs publics devraient faire, au niveau individuel et collectif, pour protéger ceux qui sont les plus fragiles face aux conséquences sociales et économiques de la crise.

Toutes ces interventions ont en commun l’accueil favorable réservé aux politiques budgétaires expansionnistes (les plans de relance) et ce même chez les plus fervents partisans de l’orthodoxie budgétaire. La propagation du Covid-19 a dévoilé au grand jour les conséquences catastrophiques des politiques budgétaires restrictives (les politiques d’austérité) menées activement depuis la crise financière mondiale et qui ont privé les systèmes de santé, dans le monde entier, des ressources nécessaires pour combattre la maladie. Même les systèmes de santé relativement solides des pays riches, comme l’Espagne et l’Italie, se sont retrouvés au bord de l’implosion, leur capacité de résistance ayant été amoindrie par des années de coupes budgétaires.

Certains plans de sauvetage sont plus égalitaires que d’autres

Un certain nombre de pays, actuellement à l’épicentre de la pandémie, ont lancé des plans de relance complets afin d’atténuer les effets du virus et de la paralysie économique qui en a résulté. Si la plupart de ces « plans de sauvetage » prévoient des protections pour les travailleurs et leurs entreprises, les différences, en termes de priorités, sont manifestes. Ces différences sont étroitement liées à la manière dont les pays ont intégré les droits sociaux à leur cadre juridique et politique.

L’Espagne a, par exemple, affecté 200 milliards d’euros à un « bouclier social » qui comprend un moratoire sur les crédits immobiliers, ainsi que sur les factures des services de base, tout en renforçant d’autres mesures de protection sociale pour ceux qui sont le plus à risque. Le programme, supervisé par le ministère espagnol des Droits sociaux et de l’Agenda 2030, est explicitement basé sur les droits sociaux inscrits dans la Constitution espagnole. Dans d’autres pays dotés d’une tradition sociale forte, comme la France et le Danemark, le gouvernement est intervenu efficacement en tant que « payeur de dernier ressort » pour éviter les licenciements ou les liquidations.

Aux États-Unis, en revanche, un plan de relance économique de 2 000 milliards de dollars, approuvé en mars dernier, inclut 500 milliards de dollars d’aide au transport aérien et à d’autres grandes entreprises, sans conditions autres que limitées pour garantir la protection des droits des travailleurs ou la réduction des émissions de carbone. Ce plan prévoit bien des mesures importantes pour atténuer l’impact économique de la crise, notamment en renforçant la protection des travailleurs, en élargissant l’assurance chômage aux petits boulots, et en fournissant une aide financière directe aux personnes. Cependant, d’autres mesures de protection sociale proposées, comme le fait d’étendre le congé maladie, n’ont pas été intégrées, déclenchant des critiques dénonçant que ce projet de loi privilégie les entreprises et ne prend pas assez en compte les familles qui travaillent.

L’héritage des politiques d’austérité dans les pays du Sud

Dans les pays moins riches, les mesures d'austérité soutenues par le FMI ont affaibli les systèmes de santé. Au cours des vagues successives d’ajustement budgétaire, les réformes ont limité le droit du travail, réduit les programmes de protection sociale, et précarisé encore davantage le travail. Ces mesures ont rendu des millions de personnes encore plus vulnérables face aux répercussions économiques de la pandémie, en particulier les femmes qui sont fortement présentes dans le secteur informel ainsi que dans le tertiaire. Dans des pays tels que le Brésil, l'Équateur, l'Égypte, et l'Afrique du Sud, les engagements en matière d’austérité intégrés à la constitution, les accords de prêt du Fonds monétaire international, et les budgets, ont pour effet d’étranger les dépenses publiques et d’empêcher des investissements cruciaux dans la santé, la protection sociale et d’autres mesures redistributives nécessaires pour répondre à la crise actuelle.

Il est temps pour les pays riches, les institutions financières internationales, et les autres acteurs économiques d’arrêter de nuire à la capacité des autres pays à protéger les droits socioéconomiques de ceux qui sont le plus à risque dans la crise du Covid-19.

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la marge de manœuvre budgétaire permettant d’atténuer les conséquences du virus est encore plus restreinte pour des raisons (par exemple, la fuite des capitaux, la chutes des prix des matières premières, un niveau élevé de dette et la fraude fiscale des multinationales) qui résultent fréquemment de choix politiques opérés par les pays plus riches ainsi que par les institutions financières internationales. Le FMI et  la Banque Mondiale ont tous deux annoncé des plans visant à mobiliser des ressources significatives pour contrer l’impact de la crise du Covid-19 sur les pays les plus pauvres. Cependant, ces institutions internationales ont dans le même temps appelé à des « réformes » afin de « rassurer » et de « stimuler les marchés », établissant des conditions, dans leurs programmes de prêt et d’assistance en lien avec le Covid-19, qui dénotent un certain entêtement  et une réticence à s’éloigner du dogme de l’austérité qui est un facteur aggravant de la crise actuelle.

De plus, le réflexe nationaliste des pays riches entrave la capacité des pays les plus pauvres à protéger leurs citoyens de l’impact de la pandémie. Par exemple, les pays de l’UE ont décidé de limiter les exportations d’équipements médicaux utilisés par les hôpitaux. Ces restrictions portent sur un montant de 12,1 milliards de dollars. Cette décision pourrait avoir un effet dévastateur sur le droit à la santé dans les pays les plus pauvres qui dépendent de ces importations. La crise du multilatéralisme n’a fait qu’accélérer la propagation de la maladie.

Il est temps pour les pays riches, les institutions financières internationales, et les autres acteurs économiques d’arrêter de nuire à la capacité des autres pays à protéger les droits socioéconomiques de ceux qui sont le plus à risque dans la crise du Covid-19. Ce n’est pas seulement, comme l’a dit le FMI, une question de solidarité internationale. La coopération internationale est une obligation en vertu du droit relatif aux droits humains. Tous les gouvernements ont le devoir de s’assurer que leurs actions n’entraînent pas d’effets négatifs prévisibles à l’extérieur de leurs frontières, ni n’entravent la capacité des autres pays à honorer leurs obligations en matière de droits humains.

La relance mondiale est une question qui concerne les droits humains

Les gouvernements et les institutions financières internationales devraient respecter ces obligations en s’accordant immédiatement sur un ensemble de nouveaux instruments qui permettraient aux pays les plus pauvres de mobiliser « le maximum de ressources disponibles » pour protéger ceux à risque pendant la pandémie. De telles mesures incluent :

  • La restructuration et la remise de dettes : le moratoire sur la dette, proposé par le FMI et la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres sur tous les paiements d’intérêts est une première étape, mais devrait être étendue, avec une restructuration de dette offerte à un plus grand nombre de pays. Les créanciers devraient contribuer aux allégements et aux  remises de dettes.
  • Émettre au moins 500 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, l’instrument monétaire du FMI, pour aider les pays à revenu faible et intermédiaire à stabiliser leur économie, endiguer la fuite des capitaux et financer les plans de relance nationaux. 
  • Orienter le soutien financier du G20 et de l’ONU de manière à renforcer considérablement la santé et la protection sociale dans les pays du Sud, et pour garantir que les vaccins et les traitements seront largement disponibles aussi vite que possible.
  • S’abstenir de toute politique commerciale défensive et de toute mesure de protection de la propriété intellectuelle tout en éliminant les restrictions sur l’utilisation des technologies de la santé dans les pays du Sud, grâce, par exemple,  à la mise en commun des droits de propriété intellectuelle afin de partager les brevets dans le but de développer des outils de diagnostic, des vaccins et des médicaments pour lutter contre le Covid-19.
  • Donner les moyens aux pays à faible et à moyen revenu d’adopter des mesures fiscales d’urgence pour générer les recettes nécessaires :  en accord avec les  directives de l'OCDE, ces mesures pourraient inclure des taxes de solidarité, des impôts sur la fortune et des taxes sur le carbone, l’élimination des incitations fiscales superflues et des mesures de rétorsion contre  l’évasion fiscale. Les entreprises ayant recours aux paradis fiscaux ne devraient pas recevoir d’aides publiques.

Au-delà d’une relance à court terme, la coopération internationale doit également intégrer des mesures ambitieuses pour transformer l'économie mondiale. En particulier, le besoin d’une relance sur un laps de temps prolongé offre l’opportunité d’accélérer la transition vers des économies durables en favorisant un « New Deal » vert mondial. La vulnérabilité des pays à revenu faible et intermédiaire face aux chocs causés par une forte dépendance aux matières premières s’en retrouverait réduite tandis que la diversification de la production serait facilitée. 

Comme nous l’a enseigné la crise financière mondiale, les tempêtes économiques peuvent offrir une rare opportunité de remettre en cause le statu quo. Cependant, certains intérêts privés cherchent souvent à utiliser ces crises pour faire en sorte que rien ne change. Cette fois-ci, nous devons tenir les gouvernements et les institutions internationales responsables du type de reprise qu’ils recherchent : soit une reprise équitable qui s’attaque aux disparités rendues manifestes (au sein des pays et entre eux) par la crise, soit une reprise « minimaliste » qui ne fait que colmater les brèches.

 


Une ancienne version de cet article a été publiée le 27 mars par le CESR.