Introduction à la série: Comment les villes des droits de l’Homme s’engagent pour une justice urbaine
Aujourd'hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des zones urbaines. Alors que les gouvernements nationaux se détournent des droits de l'Homme face aux pressions économiques mondiales croissantes et à la montée d'un nationalisme ethnique autoritaire, les municipalités sont devenues un lieu clé et une source de protection sociale pour leurs habitants. Cela a conduit les villes à jouer un rôle plus actif sur la scène internationale. Pourtant, elles sont confrontées à des défis croissants et interdépendants en matière de droits humains: urbanisme d'austérité, vieillissement et insuffisance des infrastructures, manque de logements abordables, hostilité croissante à l'égard des migrants et des réfugiés, et changement climatique. Tous ces problèmes sont exacerbés par des processus politiques qui échappent au contrôle local.
Les villes, leaders en matière de droits de l’Homme
Un mouvement mondial et local en faveur des droits de l'Homme s'est développé en réponse à ces changements et à ces défis. Les dirigeants municipaux, qu'il s'agisse de fonctionnaires, de membres de la société civile ou de militants sociaux, travaillent ensemble pour garantir la satisfaction des besoins fondamentaux des habitants et créer les conditions de leur épanouissement. Ce mouvement vise en priorité à améliorer le respect des normes internationales en matière de droits de l’Homme par les municipalités et à encourager les gouvernements locaux et les habitants à s'engager dans les processus mondiaux relatifs à ces derniers. Ce faisant, il vise à transformer à la fois les structures des gouvernements locaux et la manière dont les droits humains sont conçus et appliqués à l’échelle mondiale.
Ce mouvement est né dans les pays du Sud dans les années 1990, autour de revendications pour un « droit à la ville », qui se sont ensuite étendues en Europe et ailleurs, alors que les militants cherchaient des moyens de résister aux nouvelles menaces posées par la restructuration économique mondiale. L'idée des villes des droits de l’Homme a été introduite lors de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme de 1993, et Rosario, en Argentine, est devenue la première ville des droits de l’Homme officielle en 1999. Depuis lors, le mouvement a pris son essor. Ce succès se reflète dans l'engagement croissant des Nations Unies auprès des gouvernements locaux sur les défis sociaux et environnementaux urgents. Par exemple, les objectifs de développement durable fournissent des repères pour aider les gouvernements à combler les écarts entre les normes relatives aux droits humains et les politiques locales. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme a intensifié ses efforts pour approfondir les partenariats avec les gouvernements locaux et régionaux. Un autre outil, l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme, offre de nouvelles possibilités en permettant aux acteurs de la société civile d’exiger des comptes aux autorités, locales comme nationales, sur le respect des droits de l’Homme. Plus important encore, des villes du monde entier, de Gwangju en Corée du Sud à Barcelone en Espagne, en passant par Dayton dans l'Ohio, se déclarent villes des droits de l'homme ou adoptent des traités internationaux relatifs aux droits de l'Homme. Par exemple, les villes CEDAW adoptent la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dans le cadre de leurs structures gouvernementales.
La naissance de l'Alliance des villes pour les droits humains
L'Alliance des villes pour les droits humains (HRCA) est un réseau de défenseurs des droits de l’ Homme et d'universitaires-praticiens travaillant aux États-Unis et au Canada pour améliorer le respect des normes internationales en matière de droits de l’Homme au niveau local. Ils facilitent l'engagement local dans les processus d'examen international, sensibilisent divers publics à la manière dont les droits de l’Homme peuvent faire la différence au niveau local (par exemple, par le biais de webinaires et de forums communautaires) et soutiennent la responsabilité locale en matière de droits de l’Homme en créant ou en renforçant des institutions municipales et en menant des actions de plaidoyer politique. La HRCA est née de plusieurs réunions d'organisateurs de défense des droits de l’Homme qui ont débuté en 2015, au cours desquelles les participants ont noué des liens durables et ont partagé des expériences et des connaissances sur l'organisation des villes pour les droits de l’Homme.
La HRCA et ses partenaires se concentrent sur l'Amérique du Nord, et en particulier (mais pas exclusivement) sur les États-Unis, où le militantisme local en faveur des droits de l’Homme est moins visible et moins étudié. Ils examinent l'histoire et le contexte politique qui influencent l'organisation des droits de l’Homme dans cette région et réfléchissent à la manière dont les institutions et les alliances mondiales peuvent renforcer la protection de ces droits. . Bien que notre réseau n'inclut pas (encore) le Mexique, nous souhaitons étendre ce travail à l'ensemble du continent afin de renforcer les mouvements mondiaux et interurbains qui défendent les droits de l’Homme contre tous les gouvernements abusifs.
De nombreux membres fondateurs de la HRCA faisaient partie du Réseau américain pour les droits de l’Homme , dont le cadre « droits humains centrés sur les personnes » inspire notre Déclaration de principes. Cette approche centrée sur les individus met en avant les expériences individuelles les plus touchées par les violations des droits de l’Homme dans nos communautés, en visant « l'universalité par le bas ». Cette approche cible les autorités locales qui sont les plus responsables de la mise en œuvre des lois relatives aux droits de l’Homme. L'intersectionnalité, qui tient compte des formes d'oppression qui se recoupent, est un engagement politique directeur et un outil analytique essentiel, qui aide à hiérarchiser et à cadrer les injustices de manière à promouvoir la solidarité en mettant en évidence les points communs.
Cette stratégie centrée sur les individus rejoint l’idéal municipaliste : toutes deux cherchent à promouvoir une gouvernance locale plus démocratique, participative et attentive aux besoins concrets des populations, tout en s’opposant aux logiques extractives et à la domination irresponsable des États et des grandes entreprises.. À l'instar des défenseurs de la co-gouvernance, nous avons adopté une stratégie qui consiste à établir de véritables relations de partage du pouvoir avec les responsables locaux afin de renforcer la démocratie et d'améliorer la vie des personnes dans nos communautés, tout en nous efforçant de construire des systèmes alternatifs.
Adopter une approche trans-locale
Ce qui distingue le mouvement des villes pour les droits humains, c’est son approche résolument trans-locale, qui mobilise le droit international des droits humains et ses mécanismes de responsabilité comme leviers d’action à l’échelle locale. Nous cherchons à mobiliser les populations locales afin qu'elles s'engagent auprès des municipalités, et la HRCA sert de mécanisme de coordination pour élaborer des stratégies et partager des informations. De cette manière, nous pouvons contribuer à créer une pression populaire afin d'améliorer les performances des gouvernements locaux. En nous appuyant sur les normes internationales et en coopérant avec d'autres mouvements locaux à travers le monde, nous cherchons également à exercer une pression depuis le sommet tout en tirant parti du discours mondial sur les droits de l’Homme .
Cette « stratégie sandwich » peut être un moteur de changement au niveau local et, à terme, au niveau national, voire mondial. Elle intègre et complexifie l'effet boomerang de Keck et Sikkink en tenant compte des multiples niveaux de gouvernement qui existent dans de nombreux États, ainsi que des divers intérêts et opportunités stratégiques qu'ils représentent. La pression exercée par le recours aux normes et aux réseaux mondiaux en matière de droits de l’Homme peut dynamiser l'activisme local et modifier les perspectives et les politiques. Les gouvernements municipaux, alliés ou parallèles aux mouvements locaux de défense des droits de l’Homme, pourraient alors faire pression sur les gouvernements nationaux pour obtenir des changements juridiques, des réformes institutionnelles ou une augmentation des ressources afin d'améliorer leur performance en matière de droits humains. À mesure que ces changements se répercutent, ils commencent à remodeler les discussions mondiales sur les normes relatives aux droits de l’Homme et la manière de les mettre en œuvre. Parallèlement, l’expansion des réseaux militants trans-locaux contribue à cette dynamique mondiale en articulant échanges de savoirs, solidarités et interactions avec les processus et instances internationaux.
Nous utilisons le terme « mondialisation des droits de l’Homme » pour décrire ces voies croisées d'engagement, de responsabilisation et de transformation. La mondialisation des droits de l’Homme fournit une norme qui peut orienter l'action à plusieurs niveaux du gouvernement et de la société. La HRCA, se concentre principalement sur l'information et le soutien des défenseurs locaux et des dirigeants municipaux, tout en mettant en place des réseaux d'apprentissage et d'action entre les villes. Les essais suivants de cette série, rédigés par des militants et des universitaires impliqués dans la HRCA et son équipe de direction, explorent plusieurs thématiques clés : , le droit au logement; la nécessité d'un mouvement trans-urbain et transnational pour lutter contre le racisme; les efforts visant à prendre en compte l'histoire et les différences à travers des processus de mémoire collective; les menaces que représente la préemption des droits de l'Homme locaux par l'État; et la possibilité que les villes prennent l'initiative de plaider en faveur de la création d'une institution nationale des droits humains aux États-Unis. Le dernier essai de cette série proposera une réflexion transversale sur les thèmes abordés, les enseignements tirés et les défis identifiés tout en explorant les perspectives d’avenir pour ce travail.
Cet article a été rédigé par Jackie Smith, Michael Goodhart et le réseau de rédacteurs de Human Rights Cities Alliance. Il fait partie d'une série publiée en partenariat avec Human Rights Cities Alliance. Vous pouvez consulter les autres articles de cette série ici.