Le crépuscule du droit relatif aux droits de l’homme

L’immense effort juridique international visant à forcer les pays à protéger les droits de l’homme a échoué. Il est temps de penser à de nouvelles façons de faire progresser le bien-être des gens dans le monde.

Le projet international des droits de l’homme remonte à plus d’un demi siècle. Il a débuté avec la  Déclaration universelle des droits de l’homme, un document vague et ambitieux, pour être ensuite intégré dans une série de traités officiels. Ces traités, environ une douzaine au total, énoncent un éventail extraordinaire de droits. Pas seulement les traditionnels droits civils et politiques—les droits à la liberté d’expression et à la pratique religieuse, à un procès devant un juge indépendant, à la protection contre les perquisitions, fouilles et saisies arbitraires, à ne pas être torturé, et à ne pas subir de discrimination en raison de la race, du sexe, ou de l’appartenance ethnique. Les traités garantissent également les droits au travail, aux retraites, à l’éducation, au logement, et aux soins médicaux. Ils protègent le droit des enfants à l’accès aux médias et exigent que des aménagements soient faits pour les personnes handicapées. La grande majorité des pays ont ratifié presque tous ces traités, et ont également mis en place un grand nombre de cours internationales, de commissions, de conseils, et de comités pour veiller à la conformité des États.

Pendant longtemps, l’optimisme que ces traités pouvaient améliorer la vie des gens coexistait avec le cynisme concernant la volonté des pays à se conformer à ces traités. Au cours de ces dernières années, les politologues se sont penchés sur les données. Ils ont trouvé peu d’éléments tangibles indiquant que les pays qui ratifient les traités sur les droits de l’homme améliorent leur performance en matière de droits de l’homme.


Flickr/Blatant World (Some rights reserved)

The international human rights project goes back more than half a century. It began with the Universal Declaration of Human Rights, a vague and aspirational document.


Pourquoi les pays qui ratifient les traités sur les droits de l’homme ne font-ils pas mieux ? L’explication cynique est que les pays n’ont jamais eu l’intention de se conformer avec les traités ; ils les ont ratifié pour des questions de relations publiques. Les gouvernements se sont ensuite plaints de manière sélective des violations des droits de l’homme des pays ennemis, en ignorant les violations des droits de l’homme commises chez eux et chez leurs amis. Les institutions internationales de défense des droits de l’homme ne peuvent pas intervenir, car elles ont été privées de tout pouvoir juridique, ainsi que dépourvues de ressources financières.

L’explication cynique contient peut-être une certaine part de vérité mais elle ne semble pas correcte. De nombreux pays respectent certains droits de l’homme et font des efforts souvent sincères, même si limités, pour améliorer les droits ailleurs. Ils peuvent faire usage de pressions économiques ou diplomatiques ; ils lancent occasionnellement des frappes militaires dans un but humanitaire. Même les pays en violation avec les droits de l’homme ne l’admettent pas et se donnent parfois beaucoup de mal pour dissimuler leurs violations, ce qui implique qu’ils redoutent l’opinion mondiale désapprobatrice si ces dernières sont rendues publiques.

Aucun pays, et en particulier aucun pays pauvre, ne pourrait vraiment respecter tous les droits dans leur intégralité même s’il le souhaitait.

Le réel problème avec le régime des droits de l’homme réside ailleurs. Si vous prenez le temps de lire les traités, vous allez rapidement vous rendre compte qu’il y a énormément de droits. Jusqu’à 400 d’après mon décompte ; et ils sont souvent relativement flous, englobant un vaste éventail d’intérêts humain. Un grand nombre de droits permettent de faire des arbitrages, par exemple, le droit à la liberté d’expression peut être restreint dans l’intérêt de la morale publique et de l’ordre social. Aucun pays, et en particulier aucun pays pauvre, ne pourrait vraiment respecter tous les droits dans leur intégralité même s’il le souhaitait. Revendiquer les droits à l’alimentation, à l’emploi, à la santé, à l’éducation, à un procès équitable, à la liberté politique, et tout le reste, est avant tout, coûteux. En Occident, des ressources importantes sont consacrées à ces droits, et ce n’est possible politiquement que parce que les gens sont suffisamment riches pour avoir la volonté de payer des impôts pour ces derniers, et les institutions politiques et juridiques sont solides et assez intègres pour les assurer.

L’idée originelle du droit relatif aux droits de l’homme était d’identifier un petit nombre d’intérêts humains parmi les plus importants, dont le mépris justifierait des pressions extérieures en violation de la notion traditionnelle de souveraineté. Mais il s’est avéré difficile pour les pays de se mettre d’accord sur ce que devraient être ces intérêts. Liberté politique ? Protection de l’intégrité physique ? Vie privée ? Emploi et santé ? En réalité, les gouvernements doivent utiliser des ressources limitées pour assurer ces droits. Quand ils sont politiquement impopulaires (par exemple, la liberté religieuse en Arabie Saoudite), les gouvernements ne peuvent d’aucune manière les assurer. Quand ils sont coûteux (par exemple, enquêter sur des allégations de torture, et former la police locale pour prévenir la pratique de la torture), il peut être impossible de justifier l’utilisation de ressources qui pourraient apporter davantage aux gens en étant dépensées dans le domaine de l’éducation, des soins médicaux, et de la sécurité.

Le régime du traité des droits de l’homme était un effort naïf visant à dicter les règles de bonne gouvernance pour tous les pays, partout. La bonne gouvernance ne peut se réduire à un ensemble de règles ou de droits. Par conséquent, à l’exception de circonstances inhabituelles, il est très difficile pour les étrangers (généralement les occidentaux) de critiquer à juste titre les arbitrages effectués (habituellement) par les pays pauvres qui favorisent certains intérêts humains plus que d’autres.

Si le droit relatif aux droits de l’homme ne peut fournir des orientations, peut-on faire quoi que ce soit pour aider les gens dans les pays étrangers ? Les pays occidentaux prennent déjà au sérieux, bien que pas suffisamment, leur obligation de fournir une aide extérieure aux pays pauvres. L’aide extérieure ne marche pas toujours, et elle ne fait jamais une grosse différence, mais les améliorations progressives sont souvent tout ce qui peut être attendu. Au cours des 10 dernières années, les économistes et d’autres experts ont plaidé en faveur d’expérimentations soigneusement contrôlées, dans lesquelles l’aide extérieure de différentes formes est distribuée dans un cadre étroitement surveillé. Les observateurs peuvent ensuite déterminer si elle aide, fait du tort ou ne fait aucune différence. Le contraste entre cette approche et celle des droits de l’homme ne pourrait être plus fort. Là où la nouvelle approche en matière d’aide extérieure met l’accent sur le consentement mutuel, l’empirisme, et l’humilité, l’approche des droits de l’homme était descendante, dirigiste, utopique, et coercitive.

Il y a d’autres façons d’aider les populations défavorisées dans les pays étrangers. Probablement la façon la plus efficace est d’ouvrir nos frontières aux migrations. Les travailleurs migrants étrangers peuvent gagner cinq ou dix fois plus que dans leur pays d’origine ; une grande partie de leurs gains est renvoyée vers leur pays d’origine et forment un pourcentage substantiel du PIB des pays les plus pauvres. Les défenseurs des droits de l’homme font souvent pression sur les pays en faveur d’un dispositif pour les travailleurs étrangers visant à leur garantir leurs droits pleinement. Mais si les gouvernements sont obligés de donner généreusement les droits aux travailleurs migrants, ils vont souvent choisir de ne pas les accueillir, leur faisant du tort ainsi qu’à leur famille. Dans ce cas, comme dans tant d’autres, l’utopie rigide des droits de l’homme est en conflit avec des moyens simples et politiquement viables pour aider les plus mal lotis. Comme le dit Shakespeare, « En visant au mieux, nous gâtons souvent ce qui est bien. »