Sans une réflexion appropriée, les nouvelles solutions pour les réfugiés risquent d’échouer

Dans le débat en cours sur la protection des réfugiés, nous risquons de prôner de nouvelles solutions sans prendre correctement en compte les situations où nous avons réussi ou échoué jusqu’à présent, ainsi que les raisons de ces succès ou échecs. La protection des réfugiés telle que nous la connaissons a les rouages grippés depuis des décennies. Des millions de réfugiés ainsi que leurs enfants peuvent témoigner du fait que la « protection » les a souvent réduit à être « parqués » pour être nourris et logés en les empêchant de contribuer à la vie sociale. Rénover la protection des réfugiés passe par des changements profonds en terme de politiques et d’attitudes. Je soulève ici seulement trois des questions délicates que nous devons nous poser.

Le HCR est-il adapté à l’objectif recherché ?

Le régime de protection répond à une logique étatique. Paradoxalement, alors que le HCR est voué à « veiller à l'application de la Convention de 1951 conformément à l’esprit dans lequel elle a été formulée » plutôt qu’à « l'application des dispositions de la Convention », il est lui-même une organisation multilatérale servant les intérêts des États parties.

Bien que le HCR exerce, à l’échelle mondiale, un rôle de leadership conceptuel important quant aux questions touchant aux réfugiés, les États réticents à tout contrôle peuvent rapidement affaiblir ses initiatives innovantes comme par exemple la politique du HCR sur les alternatives aux camps. Au sein des pays, une pression est souvent exercée sur les représentations du HCR afin que celles-ci excluent toute confrontation dans leurs relations avec les gouvernements hôtes plutôt que de courir le risque de voir des membres clefs de leur personnel être déclarés persona non grata. À de nombreux égards, les représentations locales du HCR, comme c’est le cas pour le HCDH et pour d’autres agences de l’ONU, sont chargées de veiller à la mise en œuvre des politiques par les États tout en étant sous le coup de sanctions imposées par ces derniers. Dans ce cadre, la capacité d’action et la marge de manœuvre du HCR est inévitablement réduite.

De plus, les institutions académiques et les organisations de la société civile sont rarement invitées à faire partie du jury chargé de contrôler la mise en œuvre des politiques par les États ; les gardiens des droits sont souvent malvenus. Les réfugiés eux-mêmes sont encore moins audibles. Emily Fernandez a raison de souligner l’importance des populations locales, mais nous devons aller plus loin : les droits des femmes n’ont pas été acquis grâce aux hommes, les droits des LGBTI n’ont pas été acquis grâce aux hétérosexuels et les droits des réfugiés ne seront pas acquis grâce aux non-réfugiés.


Jens Meyer/Press Association Images (All rights reserved)

A Syrian refugee gives a speech during a rally in Germany condemning violence and demanding better integration of migrants. When it comes to debating state implementation of refugee policies, civil society—and even more often, refugees themselves—are left out of the conversation.


Savons-nous au moins ce qu’est un réfugié ?

En Ouganda, un réfugié en prison n’est qu’un « étranger » ; dans sa grande majorité, le personnel pénitentiaire ne connaît pas la définition juridique de réfugié et les droits qui s’y rattachent. La disparition actuelle du terme « réfugié » pour laisser place à une soi-disant « crise des migrants » en Europe est emblématique non seulement d’un manque similaire de connaissance du cadre juridique, mais également de l’absence de données et d’une incapacité à expliquer ce qui est nécessaire pour assurer efficacement l’accueil des réfugiés.

La tendance générale est de réduire les réfugiés à leurs besoins physiologiques, nécessaires à leur survie, plutôt que de rétablir les capacités sociales actuelles ou potentielles qui étaient les leurs avant de fuir.

Dépeindre de manière erronée et délibérée les réfugiés comme des « migrants » est particulièrement problématique dans deux domaines : premièrement, les États et de nombreuses organisations humanitaires ignorent systématiquement le traumatisme subit par les réfugiés. Les réfugiés qui disent à juste titre chercher une « vie meilleure » sont ainsi généralement considérés comme faisant allusion aux perspectives économiques, plutôt qu’à la sécurité leur permettant de vivre une vie libre de toute peur et de retrouver les capacités sociales, émotionnelles, politiques et économiques dont ils ont été privés en raison de la situation dans leur pays d’origine. Deuxièmement, la plupart des pays hôtes effacent de la même manière les capacités que les réfugiés apportent avec eux. Malgré l’explication du HCR comme quoi « Einstein était un réfugié », la tendance générale est de réduire les réfugiés à leurs besoins physiologiques, nécessaires à leur survie, plutôt que de rétablir les capacités sociales actuelles ou potentielles qui étaient les leurs avant de fuir.

Les stratégies d’autosuffisance ignorent souvent les interventions spécifiques nécessaires pour retrouver pleinement leur fonction socio-économique, et ne parviennent pas à exploiter les compétences des réfugiés. Dans certains pays accueillant des réfugiés, l’autosuffisance signifie que des détenteurs de doctorats se voient attribuer un lopin de terre sur lequel planter des haricots. Dans d’autres pays, ils conduisent des taxis. Ce gaspillage criminel du potentiel humain des adultes réfugiés est exacerbé par la perte du potentiel de leurs enfants qui sont nombreux à passer à l’âge adulte en situation d’exile sans avoir leur place dans leur pays de résidence actuel. Par conséquent, la protection des réfugiés aggrave involontairement la fragmentation sociale et politique et les problèmes économiques caractéristiques des situations de conflit.

Existe-t-il vraiment trois solutions durables ?

Les « solutions  durables » actuelles (le rapatriement volontaire, l’intégration locale dans le premier pays d’asile, la réinstallation dans un pays tiers) créent l’illusion réconfortante de l’existence d’une multitude d’options. La réalité est bien plus sombre.

Le rapatriement est impossible pour de nombreux réfugiés, soit en raison de la persistance des conflits qui les ont poussé à fuir en premier lieu, soit parce que certains endroits ne se prêtent tout simplement pas à un retour ; combien de juifs allemands ayant trouvé asile aux États-Unis étaient censés retourner en Allemagne après la guerre ? Même lorsque les armes se taisent, le redressement économique d’après conflit peut généralement se mesurer en années. Mais panser les plaies émotionnelles, combattre l’impunité et se réconcilier avec le passé se mesure en décennies.

L’intégration locale dans le premier pays d’asile est souvent problématique. Souvent trop accessible physiquement aux agresseurs du pays d’origine pour garantir ne serait-ce qu’une sécurité minimale, le pays hôte peut lui-même être impliqué dans la situation ayant provoqué l’exode des réfugiés. Les arguments des citoyens, et même des travailleurs humanitaires, comme quoi les réfugiés ne devraient pas bénéficier de services spécifiques et plus importants que ceux reçus par leurs hôtes renforce la suppression des spécificités liées aux réfugiés et les laisse à la merci de l’absence de bonnes pratiques en matière de développement.

Pour de nombreux réfugiés la réinstallation est donc la seule solution durable. Cependant, comme nous le rappellent constamment les États, la réinstallation est aujourd’hui un privilège et non pas un droit, et à ce titre, seule une infime partie des réfugiés y ont accès.

Au-delà des principes clefs de la Convention de 1951, une évaluation de la manière dont le monde a changé au cours de ces dernières décennies est nécessaire et soulève des questions assez délicates. Pour commencer : quelles sont les implications de l’établissement d’une multitude de blocs régionaux comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), l’Union européenne et autres ? Quelles sont les implications de la mobilité internationale en terme de sécurité des réfugiés ? Pourquoi, alors que les systèmes de reconnaissance des empreintes digitales à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda sont du même modèle et de la même marque que ceux utilisés à l’aéroport JFK aux États-Unis, est-ce encore si difficile pour les réfugiés d’obtenir des documents de voyages émis au titre de la Convention ? Pourquoi, avec l’avènement des BRICS et le déclin de l’Europe et de l’Amérique du Nord, les gouvernements européens ne réfléchissent-ils pas de manière plus stratégique aux avantages à long terme de l’accueil des réfugiés, non pas uniquement en tant que question de principes, mais également en tant que politique avisée pour garantir de futures alliances diplomatiques et commerciales ?

La réforme juridique ne peut à elle seule pallier aux échecs dans le domaine de la protection. Ces échecs nécessitent de repenser en profondeur la nature de la surveillance et de la responsabilité des États ; un rôle beaucoup plus important pour les réfugiés eux-mêmes, ainsi que leurs alliés de la société civile ; une bien meilleure compréhension des expériences spécifiques vécues par les réfugiés et leurs implications sur la manière dont ceux-ci peuvent, ou ne peuvent pas, s’intégrer et réaliser leur propre potentiel. Ceci demande un changement en terme de politiques et d’attitudes pour passer de la perception des réfugiés en tant que dommage collatéral devant être réparé, à la reconnaissance de ces derniers en tant qu’indicateur clef des échecs en matière de gouvernance économique et politique à l’échelle nationale et internationale. L’impasse en terme de solution durable exige une définition du chez-soi qui passe par des solutions multiples en termes de localisation pour des familles multi-générationnelles.