Le logement est un droit humain fondamental. Pourtant, depuis des décennies, la hausse spectaculaire des prix de l'immobilier, conjuguée à la stagnation des salaires, a accru la précarité du logement et le nombre de personnes sans domicile fixe partout dans le monde. Dans le contexte de la mondialisation, les acteurs économiques tirent profits des personnes vivant en ville. Les investissements des entreprises dans l'immobilier résidentiel urbain ont fait grimper les coûts du logement, alimentant les expulsions et augmentant le nombre de personnes sans domicile. Les loyers moyens,dans les grandes villes absorbent désormais plus de la moitié des revenus mensuels des ménages. Pour aggraver le problème, le niveau élevé de l'endettement étudiant signifie que de nombreux jeunes ont du mal à se loger dans des logements décents, avec de faibles perspectives d'accéder à la propriété, en particulier pour les résidents de couleur. Cette crise complexe et multidimensionnelle a des répercussions négatives dramatiques sur les villes.
Le point de vue des villes
Dayton, dans l'Ohio, accuse un déficit estimé à 18 300 logements abordables et a connu une augmentation alarmante de 18 % du nombre de sans-abri ces dernières années. Pourtant, une récente ordonnance municipale a criminalisé les groupes qui distribuent de la nourriture aux sans-abri sans avoir obtenu au préalable un permis. Ici et ailleurs dans l'Ohio, les sans-abri n'ont pas le droit de dormir dehors, même lorsqu'il n'y a pas de refuge disponible. Et, lorsque des refuges existent, les conditions y sont souvent inhumaines, compromettant la dignité et l'intimité des personnes.
La ville de Chattanooga, dans le Tennessee, a réussi à réduire le nombre de sans-abri de 49 % entre 2023 et 2024, mais environ 27 % des ménages restent confrontés à des charges financières élevées et à l'insécurité du logement. Au cours de la dernière décennie, plus de 1 000 logements ont été démolis, déplaçant les familles les plus vulnérables. Des centaines de personnes sont inscrites sur les listes d'attente pour obtenir une aide au logement au titre de la section 8, mais les conditions du marché font que seuls 30 % environ des bénéficiaires obtiendront un logement. Malgré le plan d'action pour le logement de 2023 de Chattanooga, la ville pourrait encore faire face à un déficit de 7 000 logements abordables d'ici 2030. Ces conditions ne sont pas liées à des frontières géographiques; elles se retrouvent à Pittsburgh et dans beaucoup d'autres villes des États-Unis.: Dans toutes les villes, le désinvestissement dans le logement social, sa destruction progressive et les approches fondées sur le marché font grimper les coûts du logement, tandis que la gentrification et les investissements privés accroissent la précarité en excluant les résidents à faibles revenus. Les mères célibataires, les Afro-Américains, les jeunes et d'autres groupes vulnérables sont les plus touchés. Les politiques visant à améliorer l'accessibilité financière par le biais de subventions et d'allégements fiscaux accordés aux promoteurs privés ne contribuent guère à réduire les loyers ou à répondre à la demande de logements abordables à long terme.
Le droit au logement aux États-Unis
Le droit au logement en vertu du droit international des droits de l'Homme est « le droit de vivre quelque part en sécurité, en paix et dans la dignité, et doit être garanti à tous, indépendamment du revenu ou de l'accès aux ressources économiques ». Il reconnaît le logement comme un bien social essentiel à tous, plutôt que comme une marchandise et un moyen d'accumulation de richesse. Il ne s'agit pas d'un droit à un logement gratuit, mais il exige que le gouvernement prenne des mesures pour garantir que chacun puisse se loger dignement.
Ce logement doit être « adéquat », c'est-à-dire répondre à sept critères définis par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies : accessibilité, abordabilité, disponibilité des services, habitabilité, emplacement et adéquation culturelle.
Bien que les États-Unis n'aient pas reconnu le logement comme un droit légal et mettent plutôt l'accent sur les stratégies de marché, des mouvements au niveau des états et au niveau local réclament le droit au logement. En outre, en ratifiant la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, les États-Unis ont reconnu la nécessité de garantir l'égalité en matière de logement.
La criminalisation des sans-abri
Néanmoins, des développements récents ont affaibli les protections fédérales pour les personnes incapables de se loger. Dans l'affaire Grants Pass v. Johnson, la Cour suprême des États-Unis a estimé que les lois punissant le fait de dormir dans un lieu public ne violaient pas l'interdiction constitutionnelle des peines cruelles et inhabituelles, même en l'absence de refuges. Cette décision transforme de fait les personnes qui n'ont pas accès à un logement en criminels. Comme l'a reconnu la juge Sotomayor dans son opinion dissidente, arrêter et infliger une amende à « des personnes qui n'ont pas accès à un refuge [...] revient à les punir pour être sans abri » et « laisse les plus vulnérables de notre société face à un choix impossible : rester éveillés ou être arrêtés ». Elle a jugé cela « inadmissible et inconstitutionnel ».
La criminalisation d'activités vitales viole également le droit international des droits de l’Homme. Les organismes de défense des droits de l’Homme ont toujours estimé que punir les sans-abris ainsi que les actes de survie dictés par la nécessité constituait un traitement cruel, inhumain et dégradant. Le Comité des droits de l'Homme des Nations unies a spécifiquement appelé le gouvernement américain à « abolir les lois et les politiques qui criminalisent les sans-abris à tous les niveaux » et à « intensifier les efforts pour trouver des solutions [...] notamment en réorientant les fonds destinés aux mesures pénales vers des programmes de logement et d'hébergement adéquats ».
La criminalisation des sans-abris est inefficace et contre-productive. Elle ne fait rien pour remédier aux conditions qui poussent les gens à quitter leur logement, tout en rendant beaucoup plus compliqué l’accès au logement. Elle perturbe l'accès aux services essentiels et entraîne des amendes impossibles à payer, des peines de prison et des casiers judiciaires qui compromettent encore davantage les perspectives d'emploi et l’accès au logement des personnes concernées. De plus, la criminalisation est coûteuse, puisqu'elle coûte deux à trois fois plus que la fourniture de logements abordables.
Les villes qui font progresser le droit humain au logement
Alors que Grants Pass a autorisé les localités des États-Unis à criminaliser les sans-abris, certaines villes ont préféré mettre en place des mesures significatives pour lutter contre ce phénomène et l'insécurité du logement. Philadelphie a adopté une résolution condamnant la décision de Grants Pass et réaffirmant que le logement est un droit humain. Les villes jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les causes profondes de la crise des des sans-abris et dans l'accès à un logement abordable. Afin d'aider les gouvernements, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable a élaboré des lignes directrices pour la mise en œuvre du droit à un logement convenable. Les défenseurs du droit au logement à Pittsburgh ont utilisé ces lignes directrices pour orienter les discussions au sein de la communauté et élaborer une stratégie de logement fondée sur les droits de l’Homme, réunissant une coalition à l'échelle de la ville qui promeut le droit au logement sur plusieurs fronts.
Partout dans le pays, les locataires s'organisent. Des leaders de Kansas City ont contribué à la création d'une fédération nationale des locataires. Les associations de locataires de Dayton ont contribué à élargir le soutien public en faveur des droits des locataires grâce au Facing Eviction Project, qui utilise la parole pour lutter contre la déshumanisation des personnes confrontées à l'itinérance et à l'expulsion. De nombreuses villes ont accueilli l'exposition itinérante National Exhibit on Eviction.
Le plaidoyer a conduit à l'adoption croissante de «lois sur le droit à un avocat » au niveau local afin de garantir une représentation juridique aux personnes menacées d'expulsion. Au moins dix-neuf villes, deux comtés et cinq États reconnaissent désormais le droit à un avocat, et des villes comme Pittsburgh se joignent à eux. À New York, entre 72 et 93 % des locataires représentés menacés d'expulsion ont pu rester dans leur logement, et le taux d'expulsion a diminué de 26 %. En outre, les défenseurs des locataires de Louisville, dans le Kentucky, ont contribué à l'adoption d'une loi anti-expulsion et d'un outil de mise en œuvre qui canalise les fonds publics vers des projets de développement protégeant les résidents existants contre la gentrification de leur quartier.
D'autres villes ont promulgué des « Homeless Bills of Rights » (chartes des droits des sans-abri) qui protègent les personnes sans domicile. À Traverse, dans le Michigan, cela comprend la garantie « des conditions de base nécessaires à la vie, notamment un abri, l'accès à l'hygiène, aux soins médicaux, à des vêtements et à la nourriture ». À Chattanooga, un système d'entrée coordonné aide les personnes sans domicile à trouver plus efficacement les ressources disponibles.
Les défenseurs du droit au logement ont dénoncé le coût élevé et l'efficacité limitée des politiques de logement existantes et ont élargi le soutien aux options de logement non-lucratives. Cela inclut le fonds pour le logement abordable de Dayton et le développement du logement social, des fiducies foncières communautaires et du logement coopératif. L'ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, Leilani Farha, soutient ces efforts à travers l'initiative Shift Cities, qui encourage un développement urbain fondé sur les droits de l'Homme et aide les villes et les communautés à renforcer leur capacité à lutter contre les acteurs puissants du marché. S'appuyant sur ces initiatives prometteuses, l'Alliance des villes pour les droits de l’Homme encourage les échanges entre villes et les coopérations afin de contribuer à faire du droit au logement une réalité pour tous.
Cet article a été rédigé par Tara Campbell, Tamar Ezer, Robert Robinson, Jackie Smith et le réseau de rédacteurs de Human Rights Cities Alliance. Il fait partie d'une série publiée en partenariat avec Human Rights Cities Alliance. Vous pouvez consulter les autres articles de cette série ici.