Pour les minorités sexuelles, la « fermeture de l’espace » pour la société civile revient à perdre l’accès aux services vitaux

Dans la plupart des régions du monde, les organisations qui travaillent avec les minorités sexuelles n’ont jamais pu évoluer dans un espace ouvert. Pour ces groupes, l’idée de « fermeture de l’espace » n’est pas nouvelle mais fait partie intégrante de leur réalité quotidienne depuis des décennies. Malheureusement, les grandes organisations de défense des droits humains sont nombreuses à ne pas comprendre que les organisations de défense des minorités sexuelles fournissent des services vitaux et ne se résument pas aux actions de plaidoyer. Fermer l’espace civique pour ces groupes revient aujourd’hui à bannir l’accès à ces services, et les grandes organisations de défense des droits n’agissent pas suffisamment pour protéger cet accès.

À titre d’exemple, lorsqu’un Comité du gouvernement kenyan a recommandé de « bannir les organisations impliquées dans des activités immorales, dans l’espionnage ou le terrorisme », les grandes organisations de défense des droits présentes au Kenya ont été très peu nombreuses à soutenir les organisations de la société civile qui sont au service des minorités sexuelles. Afin de lutter par leurs propres moyens, ces dernières ont été nombreuses à avoir recours aux tribunaux pour les aider à remporter des batailles. Qu’il s’agisse de faire appel contre la loi homophobe ougandaise, d’exiger le dégel des comptes bancaires au Kenya, ou de se prononcer contre le refus d'immatriculer LEGABIBO (une organisation de défense des droits LGBT) au Botswana, la plupart de ces victoires devant les tribunaux sont basées sur les droits et les libertés garantis par la Constitution des pays les plus ouverts et démocratiques, et par la Déclaration universelle des droits humains. Mais dans de nombreux pays où l’espace est fortement réduit pour les minorités sexuelles, les gouvernements remettent de plus en plus en cause l’universalité des droits qu’ils dépeignent comme un concept venant d’Europe de l’Ouest et des États-Unis. Si cette stratégie devait  porter ses fruits à l’avenir, de plus en plus de personnes marginalisées perdraient l’accès, non seulement aux organisations impliquées dans des actions d’aide et de plaidoyer, mais également aux services essentiels dont elles ont besoin.

La haute cour kenyane s’est, par exemple, prononcée contre le blocage par le gouvernement d’une grande organisation de défense des minorités sexuelles, la National Gay and Lesbian Human Rights Commission (NGLHRC), mais cette organisation n’est toujours pas immatriculée. Au Botswana, une organisation du même type n’a que récemment gagné une longue action en justice pour obtenir son immatriculation. La réaction au jugement ne s’est pas fait attendre, en particulier de la part de l’église catholique qui l’a qualifié de « tentative délibérée par certaines personnes et institutions de prôner une idéologie et un agenda dangereux qui ne sont pas naturels, africains et chrétiens ». Malheureusement, à l’exception de certaines organisations internationales comme Human Rights Watch, les grandes organisations semblent avoir largement ignoré la situation.

Ce problème est encore aggravé par la fermeture des espaces civiques pour les groupes marginalisés  en Afrique qui se traduit souvent par des descentes de police dans les lieux où ces organisations (souvent illégales) mènent leurs activités, en particulier là où elles fournissent leurs services. Quand le Nigeria a voté une loi interdisant le mariage homosexuel, cela a accentué la discrimination contre les homosexuels ainsi que le climat homophobe et s’est traduit par le déni d’accès, pour les minorités sexuelles, aux soins, au logement, à l’emploi et à la protection contre la violence. Les établissements de soin et les sites de recherche contre le VIH et le SIDA sont particulièrement vulnérables aux attaques car, de par leur nature, ils offrent des services adaptés aux besoins de ces groupes marginalisés.


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Ugandan homosexuals take up residence in a safe house. The work of GSM rights groups is essential to securing the safety and welfare of gender and sexual minorities in Africa.


Au Kenya, par exemple, Musulmans pour les droits humains (MUHURI) met à disposition des centres d’injection sûrs pour éviter le partage des seringues parmi les toxicomanes, car les études montrent que cette pratique facilite la propagation du VIH. Par conséquent, le gel des comptes bancaires de l'organisation par l’État n’a pas seulement eu des conséquences sur les actions de plaidoyer en faveur des droits humains mais a également menacé la sécurité et le bien-être des personnes ayant besoin de traitement et de soins contre le VIH. Aussi, ce sont trop souvent des gens qui ne peuvent pas avoir accès à des centres de service alternatifs. Cependant, le fait que ces centres de service, comme les programmes de recherche de l'armée américaine qui financent le projet Walter Reed en Ouganda, ou le programme gouvernemental kenyan de recherche, KEMRI, puissent être détenus ou gérés par des organisations réputées, ne semble pas être important aux yeux des fonctionnaires qui ordonnent ces descentes policières.

L’accès aux ressources est également directement lié à la prestation de service au bénéfice de ces groupes vulnérables. Maina Kiai, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté de réunion et d’association, remarque que le droit à la liberté d’association inclut la possibilité de « solliciter, recevoir et utiliser les ressources humaines, matérielles et financières de sources nationales, étrangères et internationales ». Le financement est essentiel au succès des organisations représentant les groupes marginalisés, car il est peut probable qu’elles puissent lever des fonds auprès de leurs propres membres qui souffrent également d’appauvrissement économique, ou même de leurs citoyens plus fortunés dans leur propre pays en raison de la peur ou des préjugés, comme l'a fait remarquer Alice Nkom, concernant le Cameroun. Dans l’ensemble, il y a très peu d’organisations qui financent les questions liées aux minorités sexuelles ou aux personnes LGBT dans le monde. Même pour le petit nombre d’organisations qui le font, les fonds dédiés aux minorités sexuelles ne constituent qu’une faible part de leur budget, généralement moins de 1 %.

L’enjeu central porte sur le fait que les gouvernements et leurs citoyens sont nombreux à considérer que ces groupes ne méritent pas d’avoir l’espace nécessaire pour s’organiser et faire valoir leurs droits. 

À cet égard, l’enjeu central porte sur le fait que les gouvernements et leurs citoyens sont nombreux à considérer que ces groupes ne méritent pas d’avoir l’espace nécessaire pour s’organiser et faire valoir leurs droits et vont dans certains cas jusqu’à criminaliser leur conduite. La stigmatisation structurelle joue un rôle déterminant, ou tout du moins, sert à justifier la fermeture des espaces civiques qui sont déjà extrêmement étroits. Cette stigmatisation touche également la stratification sociale qui amène ensuite à définir ce qui est « autorisé » et ce qui est « interdit », déterminant qui peut organiser et participer aux espaces civiques et qui n’en a pas le droit.

Pour surmonter le problème de la stigmatisation, certaines organisations ont choisi des noms qui ne révèlent pas la nature de leurs adhérents ou de l’audience ciblée par leurs services. Par exemple, après que l’organisation de défense des minorités sexuelles Tanzania Sisi kwa Sisi Foundation ait vu son immatriculation être retirée, elle a tout simplement cherché à s’immatriculer sous une nouvelle identité. D’autres organisations de défense des minorités sexuelles ont choisi de ne pas s’immatriculer en tant que prestataire de service au profit des minorités sexuelles pour en éviter le prix lourd à payer, en particulier celui de la violence qui accompagne le fait d'être si ouvertement identifié. Malheureusement, cela rend encore plus difficile pour les personnes qui ont besoin de services de santé ou d’autres types de trouver les organisations de défense des minorités sexuelles, en particulier pour les personnes qui ne sont pas déjà en lien avec les réseaux sociaux existants.

Cependant, le fait de favoriser les partenariats internationaux avec des organisations internationales comme l’ONUSIDA et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a été très utile pour les organisations de défense des minorités sexuelles qui ne veulent pas se cacher et qui cherchent à renforcer leur légitimité sur le plan local et régional. Du Bangladesh, où l’ONU a aidé les militants à faire pression sur le gouvernement et contre les lois homophobes, aux Seychelles, où le parlement a récemment dépénalisé la sodomie, l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a été un outil efficace pour les organisations de défense des minorités sexuelles pour mettre en lumière les violations des droits humains et dépénaliser l’homosexualité.

Enfin, dans le débat sur la fermeture de l’espace pour la société civile, il est essentiel de prendre en compte la réalité quotidienne pour les minorités sexuelles. Si promouvoir les droits humains fait intégralement partie de l’amélioration de leur vie, les bailleurs de fonds et les défenseurs doivent se rappeler que, pour les minorités sexuelles de ces pays répressifs, la fermeture de l’espace signifie également la fermeture de l’accès aux services vitaux, ce qui peut, pour un grand nombre d’entre elles, faire la différence entre la vie et la mort.