L’acquittement de Gbagbo et le combat pour la légitimité de la CPI

Foto:EFE/EPA Legnan Koula


Le récent acquittement de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, et de son allié politique, Charles Blé Goudé, est largement vu comme un échec de plus pour la Cour pénale internationale (CPI). Les observateurs avertis sont certainement nombreux à avoir été attristés par ce qui constitue un nouvel échec de la CPI dans un procès hautement médiatique. En dix-sept ans d’activité, la CPI n’a toujours pas prononcé de condamnation à l’encontre d’un responsable gouvernemental, une distinction peu enviable. Néanmoins, les premières réactions ont occulté le fait que ce type de décision peut avoir des conséquences contradictoires sur la légitimité de la Cour.

Bien sûr, la « légitimité » est incontestablement un concept vague. Dans le cas présent, c’est le décalage entre les attentes et la réalité qui définit ma conception de la légitimité. Plus ce décalage est faible, voire même lorsque les attentes dépassent la réalité, plus la légitimité de l’institution est forte. Si la réalité ne répond pas aux attentes, nous avons alors la situation inverse : un manque de légitimité. L’impact, positif ou négatif, des acquittements sur la légitimité de la CPI dépend des attentes prises en comptes.

Nombreux sont ceux qui s’attendent à ce que la CPI prononce des condamnations et ce, principalement en raison d’au moins trois éléments. Premièrement, la CPI se concentre généralement sur les « principaux responsables » de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, et de génocide. Par conséquent, nous nous attendons à ce que, si la Cour délivre un mandat d’arrêt, la personne concernée soit un « responsable de premier plan » et donc coupable.

Deuxièmement, et dans le même ordre d’idée, dans chaque situation la CPI ne cible qu’une infime proportion des coupables. En Côte d’Ivoire, trois personnes sont concernées : Gbagbo, Blé Goudé, et l’ancienne première dame, Simone Gbagbo. Cette sélectivité renforce la notion que ces quelques individus doivent être responsables des crimes dont ils sont accusés.

Troisièmement, le procureur incarne la CPI auprès du public, et le fait qu’il soit la personnalité la plus en vue de la Cour renforce la perception que le rôle premier de l’institution est de faire condamner plutôt que juger.  

Ainsi, nombreux sont ceux pour qui la légitimité du procureur est mise à mal par les acquittements précisément parce qu’ils s’attendent à ce que le procureur obtienne des condamnations.

Cependant, cette façon de voir ne tient pas compte de l’importance du rôle de la défense dans la légitimité de la Cour. Sareta Ashpraph, par exemple, déclara en réponse à l’acquittement de Gbagbo que nous devrions « être reconnaissants » et admettre le rôle de la défense dans la garantie de procès équitables. Ainsi, de ce point de vue, l’acquittement de Gbagbo, plutôt que de l’affaiblir, renforce la légitimité de la CPI car les acquittements montrent que le droit est respecté et que la cour pénale fonctionne.

Ce qui montre les nombreuses formes que prend constamment la « légitimité ». La légitimité de la CPI peut à la fois souffrir des acquittements et en bénéficier. D’un côté, le respect du droit et des procédures, au-delà de la prérogative d’obtention de condamnations, est ainsi démontré. D’un autre côté, cela laisse penser qu’il existe un problème avec la façon dont les poursuites sont menées.

Pour Gbagbo, Blé Goudé, et leurs fervents partisans, il est possible que les acquittements ne les incitent pas à croire en la crédibilité de la CPI. Cependant, ils doivent surement penser que l’acquittement a été prononcé à juste titre et que, par conséquent, le procès fut équitable. Peut-être ne se sont-ils pas attendus à la prononciation des acquittements, mais ils les ont obtenus, et la CPI, par conséquent, pourrait bien être allée au-delà de leurs attentes.

Mais qu’en est-il des victimes et des survivants qui ont choisi de s’impliquer dans les poursuites judiciaires en s’attendant à ce que justice soit rendue ? Ceux qui ont décidé de prendre part aux procès de Gbagbo, de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba (également acquitté), ou du président kenyan, Uhuru Kenyatta, et de son vice-président, William Ruto (poursuites abandonnées), ont tous les droits d’être furieux du résultat. Non seulement ils n’ont pas obtenu justice, mais leur condition de victime et leurs souffrances sont mises à mal lorsqu’une affaire débouche sur un non-lieu ou sur un acquittement. Quelle que soit l’explication donnée, il est peu probable que leur douleur et leurs craintes s’en trouvent apaisées.

Bien sûr, nous devons nous interroger quant à savoir qui fait monter les attentes des victimes et les modérer à l’avenir. Mais il est clair que de nombreuses victimes ont perdu confiance en la capacité de la Cour à rendre justice.

Qu’en est-il des conséquences de cette décision de justice en Côte d’Ivoire ? Les partisans de Gbagbo se réjouissent de l’acquittement et de la perspective d’un retour de leur ancien dirigeant. Si Gbagbo revient, ce qui n’est pas certain vu qu’il est accusé de corruption en Côte d’Ivoire, il redeviendrait sans doute un acteur politique majeur. Ceci pourrait également avoir des effets notables sur la crédibilité de la CPI.

Si Gbagbo se présentait à la présidentielle, sa campagne se baserait-elle sur son « triomphe » à La Haye ? C’est ce que s’apprêtait à faire Bemba lors de son retour  en République démocratique du Congo l’année dernière, affichant une photographie de son procès dans son profil sur les réseaux sociaux. Au Kenya, l’utilisation des procès de Kenyatta et de Ruto à des fins politiques, avec l’aide d’une société de relations publiques, les ont notoirement aidés à être élus aux plus hautes responsabilités du pays. Tout cela amène à une question quelque peu dérangeante : être poursuivi par la CPI aide-t-il la carrière de certains politiques ? Ce n’est certainement pas ce que l’on attend de la Cour.

Les États membres de la CPI constituent une autre composante importante quand il s’agit d’évaluer la légitimité de la CPI. Leur démarche est de plus en plus centrée sur les résultats. Ils veulent un « retour sur investissement ». Pour un grand nombre d’entre eux, cela signifie un plus grand nombre de condamnations, en particulier pour des personnalités publiques de premier rang comme Gbagbo, Bemba, ou Kenyatta. Mais les États les plus favorables à la CPI ont un rapport curieux à la légitimité, précisément parce qu’ils investissent dans la CPI : même si la performance de la Cour ne les satisfait pas, ils utilisent les gains ou les pertes de légitimité de la Cour de manière à démontrer la sagesse de leur investissement.  

Enfin, il importe de relever un côté positif de l’acquittement de Gbagbo qui affaiblit l’argument soutenant que la CPI “pourchasse” les hommes d’État africains. La perspective selon laquelle la CPI ne cherche qu’à emprisonner des despotes africains est moins pertinente lorsque des personnalités comme Kenyatta, Bemba, et Gbagbo sont libérées.

Les réactions sur l’acquittement de Gbagbo montrent la diversité des parties concernées par la Cour. La légitimité dépend d’une multitude de parties prenantes qui nourrissent des attentes divergentes envers la CPI et qui, par conséquent, évaluent différemment la légitimité de l’institution et parfois même de manière incompatible. De ce fait, tout ce qui se passe au sein de la CPI peut être vu à la fois comme contribuant et comme nuisant à la légitimité de l’institution. Les observateurs de la Cour devraient en tirer un enseignement : les choses ne sont jamais aussi bonnes ou mauvaises qu’elles semblent l’être.