Reconsidérer la responsabilité des bailleurs de fonds

UN Women/Fabrice Gentile

En juillet 2021, les gouvernements, les entreprises, les fondations et la société civile du monde entier se sont réunis dans le cadre du Forum Génération Égalité (Generation Equality Forum) et se sont engagés à modifier leurs politiques, à mettre en œuvre des programmes, à investir des ressources financières en faveur de l'égalité des sexes et à intensifier leurs actions de sensibilisation. Un financement colossal de 40 milliards de dollars américains a été affecté à ces objectifs.  

L'annonce du Forum Génération Égalité (FGE) était et reste cruciale, car la progression de la question de l'égalité des sexes reste incroyablement lente, tandis que COVID-19 et son impact continuent de révéler et d'exacerber les inégalités systémiques auxquelles sont confrontées les femmes et les communautés les plus marginalisées. Il est impératif de faire en sorte que les engagements du FEM ne se limitent pas à des titres « tape-à-l'œil », mais que leur mise en œuvre soit centrée sur les femmes et les groupes marginalisés, afin qu'ils ne soient pas laissés pour compte au moment où le monde se reconstruit.

Pour ce faire, les bailleurs de fonds doivent d'abord examiner la question de la redevabilité. A qui doivent-ils rendre des comptes? Comment peuvent-ils intégrer la redevabilité dans leurs engagements bien intentionnés? Pourquoi sont-ils tenus de rendre des comptes?

Généralement, dans les relations entre les bailleurs de fonds et les bénéficiaires, c'est principalement le bénéficiaire (généralement des organisations de la société civile) qui est tenu responsable de ses actions, de l'utilisation des fonds et des résultats. Dans un contexte politique, les gouvernements sont tenus de rendre des comptes lorsqu'ils sont investis ou démis de leurs fonctions. Cependant, lorsque les bailleurs de fonds n'atteignent pas les objectifs fixés, ils peuvent simplement tourner le dos et partir au détriment des communautés qu'ils entendent servir. En revanche, ceux qui quittent des pays où les programmes ont été mis en œuvre avec des résultats tangibles, quelles que soient leurs bonnes intentions et malgré les stratégies de sortie mises en place, laissent dans leur sillage des lacunes qui ne peuvent être comblées ni par le gouvernement ni par les organisations à but non lucratif.

Les bailleurs de fonds doivent se montrer responsables envers les communautés les plus marginalisées, en sachant que c'est l'oppression et l'exploitation de ces communautés marginalisées qui permettent l'accumulation de la plupart des richesses. Lorsque les ressources sont affectées de manière appropriée aux communautés les plus touchées par les inégalités structurelles, elles s'attaquent à leur tour aux causes profondes des inégalités entre les sexes dans les structures historiques, sociales, culturelles, économiques et politiques. Si les 40 milliards de dollars du FGE sont rendus opérationnels selon ce principe, ils pourraient changer la donne.

Les bailleurs de fonds doivent reconsidérer leurs principes et leurs pratiques de manière à éviter de renforcer la dynamique du pouvoir et des privilèges des institutions riches, et plutôt fonctionner grâce à la participation, la confiance et la compréhension mutuelle. Les bailleurs de fonds doivent gérer activement les dynamiques de pouvoir - en dialoguant ouvertement et honnêtement avec ceux qui bénéficient de leurs financements, en prenant du recul, en écoutant et en accordant une place au leadership de la base. Cela permettra non seulement de garantir la clarté quant aux modalités de responsabilité, mais aussi d'identifier les mesures pratiques à prendre pour que les ressources soient accessibles aux personnes se trouvant en marge de la société - par exemple, en soutenant et en collaborant avec des fonds qui non seulement mettent à disposition des ressources, mais sont aussi les plus proches de ces populations, telles que les femmes, les personnes transgenres et les personnes intersexuées.

En outre, il est important d'assurer le suivi des progrès accomplis dans la réalisation des engagements du FGE et de procéder à une évaluation à mi-parcours (au bout de deux ans et demi) afin de mesurer les progrès accomplis et les difficultés rencontrées, et de réaffirmer la nécessité d'aller de l'avant pour atteindre les objectifs fixés. Cette mesure ne sert pas seulement à contrôler, mais aussi à renforcer la responsabilité, car elle permet aux personnes qui prennent des engagements d'évaluer leurs propres performances et de déterminer les modifications nécessaires pour atteindre leurs objectifs visés. 

Les bailleurs de fonds doivent gérer activement les dynamiques de pouvoir - en dialoguant ouvertement et honnêtement avec ceux qui bénéficient de leurs financements, en prenant du recul, en écoutant et en accordant une place au leadership de la base.

Les analystes indépendants et les communautés devant bénéficier des engagements devraient également avoir l'occasion de se rencontrer pour examiner les progrès réalisés et tenir les auteurs des engagements responsables. Cette démarche irait dans le sens de la pratique adoptée pour des instruments tels que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ( CEDEF), selon laquelle les organisations de la société civile établissent des rapports parallèles visant à responsabiliser les gouvernements lorsque ceux-ci présentent des rapports sur les progrès accomplis devant les Comités. Cela permet de garantir la validité des rapports gouvernementaux. 

Le Forum Génération Égalité (FGE) offre une occasion en or de s'attaquer aux causes structurelles de l'oppression systémique subie par les femmes et les communautés marginalisées, notamment dans les pays du Sud, et d'encourager l'action et la responsabilisation en faveur de l'égalité des sexes. Pour que cela soit possible et que le FGE puisse préserver l'esprit de "changement transformateur" qu'il était censé avoir, les bailleurs de fonds doivent placer la vision de la responsabilité au cœur de leur travail, procédures et relations.

N.B.Notre utilisation du terme « womn » en anglais est un acte de contestation et de substitution des idées traditionnelles de ce qu'est une femme et de qui elle est, qui la lie à un système patriarcal où elle est en fait soumise aux hommes. Cela comprend les femmes cis, les transsexuelles et celles qui sont non-binaires.