La Cour pénale internationale en danger

Au cours de ses 12 premières années, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert des enquêtes dans huit pays (République centrafricaine, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Kenya, Libye, Mali, Ouganda et Soudan (Darfour)) débouchant sur 22 affaires. Ces enquêtes et ces affaires sont un bon point de départ, cependant, elles sont bien loin de  répondre à la demande.

Dans chacun de ces pays, le Bureau du Procureur de la CPI a encore du travail pour s’attaquer aux causes profondes des crimes alors que certains d’entre eux vont exiger de nouvelles accusations ou affaires.

La Cour est également sous pression pour étendre ses activités à d’autres pays. Les allégations de crime international dans neuf autres pays (Afghanistan, Colombie, Géorgie, Guinée, Honduras, Nigeria, Irak, Palestine et Ukraine) sont en cours d’examen par le procureur et pourraient exiger de nouvelles enquêtes. Certaines de ces situations ont été examinées depuis des années. Les victimes et les organisations de la société civile font appel à la CPI pour qu’elle agisse dans d’autres pays comme le Mexique.

De plus, le Conseil de sécurité de l’ONU a le pouvoir de renvoyer ces situations devant la CPI, ce qui fut le cas avec le Soudan (Darfour) et la Libye, bien qu’il refusa de le faire avec la Syrie.  

La réalité est que la charge de travail actuelle de la CPI est immense. Les attentes sont encore plus fortes et les atrocités continuent à un rythme alarmant dans le monde avec aucun répit en vue.

La réalité est que la charge de travail actuelle de la CPI est immense. Les attentes sont encore plus fortes et les atrocités continuent à un rythme alarmant dans le monde. 

Cependant, alors même que la demande a augmenté, l’Assemblée des États Parties, l’organe qui supervise la CPI, a revu à la baisse les ressources supplémentaires sollicitées par la Cour. Certains pays membres de la CPI ont exprimé leurs inquiétudes, concernant l’éventuelle explosion des coûts et l’inefficacité dans de nombreux aspects du travail de la Cour, pour justifier le fait de limiter les dépenses. Entre 2009 et 2011, un petit groupe d’États, parmi les plus grands contributeurs, a appelé à ne pas augmenter le budget en dépit d’une augmentation de l’activité de la Cour.

Par conséquent, la CPI a parfois été réticente à demander toutes les ressources dont elle a besoin, et, même lorsqu’elle l’a fait, les augmentations annuelles n’ont été que partiellement approuvées. La CPI peut et devrait faire plus pour améliorer sa propre performance afin de répondre à sa charge de travail, et les fonctionnaires de la Cour se sont montrés de plus en plus déterminés à agir de la sorte. Mais surtout, les États parties ont répondu en accordant des augmentations de ressources limitées au Bureau du Procureur.

Néanmoins, l’ensemble de l’approche budgétaire de ces dernières années semble avoir un impact négatif sur la capacité de la CPI à s’attaquer aux crimes. Fatou Bensouda, le procureur, a déclaré qu’elle a été obligée de réduire les ressources pour les enquêtes dans des crimes en cours en Libye, afin de pouvoir juger d’autres affaires au-delà de la Libye. Son bureau a également affirmé que les contraintes en terme de ressources ont retardé des enquêtes sur des crimes commis par toutes les parties dans les violences électorales de 2010-2011 en Côte d’Ivoire.

Si le Bureau du Procureur a du mal à gérer les affaires en cours efficacement avec les ressources disponibles, il est peu probable qu’il soit à même de traiter pleinement d’autres situations où l’intervention de la CPI s’impose.

Cette crise des capacités menace non seulement l’efficacité de la CPI mais également sa légitimité.   

Le procureur de la CPI fait déjà face à la tâche peu enviable de choisir des situations et des affaires à renvoyer devant la Cour, prenant en compte, parmi d’autres facteurs, l’ampleur et la gravité des crimes qui sont tous, de par leur nature même, haineux. Elle doit le faire avec le plus haut niveau de transparence et l’application la plus stricte de la loi. Les préoccupations budgétaires ne peuvent jamais être totalement exclues de l’équation. C’est également le cas pour ce qui est des juridictions nationales. Mais si le procureur n’a pas les ressources suffisantes pour mener efficacement ses enquêtes, ou si ses choix sont motivés par des contraintes en terme de ressources, en particulier quand un petit groupe d’États, principalement occidentaux, sont ceux qui ont la plus grande influence sur le budget, ceci pourrait aboutir à des accusations préjudiciables de politisation et de partialité à l’encontre de la CPI. Si la CPI n’est pas capable de gérer de nouvelles situations en raison du manque de ressources, elle risque de devenir obsolète.


Flickr/Coalition for the ICC (Some rights reserved)

A meeting of the Assembly of States Parties to the Rome Statute of the International Criminal Court.


Il est certain que les défis posés par la forte demande de justice internationale vont bien au-delà de la CPI. La CPI devrait être une solution de dernier recours sous ce qui est connu comme le principe de complémentarité, Mais les États parties au Statut de la CPI ne remplissent pas leur principale obligation qui est d’enquêter véritablement sur les génocides, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et de lancer des actions en justice. Ce qui conduit à l’impunité. Le recours à d’autres outils de la justice internationale est également trop limité, y compris l’utilisation de la compétence universelle. Ces manquements doivent être adressés.

Mais à court terme, les efforts devraient se concentrer sur l’augmentation des capacités de la CPI pour s’assurer qu’elle puisse mener ses enquêtes et ses affaires en cours efficacement, et répondre à l’impunité dans d’autres situations lorsque nécessaire.

Afin d’y parvenir, un changement important de discours sur le budget de la CPI est urgent et nécessaire. Bien que les appels en faveur de la croissance zéro se sont en grande partie estompés, le centre des discussions actuelles tourne toujours autour de ce que certains États parties sont enclins à payer plutôt qu’autour des besoins budgétaires de la Cour ou de la demande globale en matière de justice internationale. Les États parties étudient une proposition visant à imposer un plafond budgétaire à la CPI un an à l’avance, limitant la possibilité de baser le budget sur une prévision précise des besoins de la Cour. Il est indéniable que si cette approche est adoptée, la CPI ne disposera jamais de ressources suffisantes.

Au contraire, l’accent devrait être mis sur l’adoption d’un point de vue commun sur la capacité optimale de la CPI, et ensuite sur la constitution des ressources de la Cour pour y parvenir. En fin d’année, la CPI va déménager dans son siège permanent de La Haye. C’est le bon moment pour les fonctionnaires de la Cour d’évaluer sérieusement la capacité idéale de la CPI en matière judiciaire  et d’enquêtes. Ils devraient présenter aux États parties un plan d’action clair et des prévisions budgétaires évolutives pour atteindre ces capacités aussi vite que possible. Les États parties devraient également envoyer un signal précis à la Cour comme quoi ils ont la volonté de prendre ce plan en considération.

Ce n’est pas pour dire que la CPI devrait recevoir des fonds illimités. Ni que les États parties devraient arrêter de faire pression sur la Cour afin qu’elle réforme les pratiques judiciaires, améliore la transparence budgétaire et s’efforce d’optimiser l’efficacité. En effet, si les États parties adhèrent à une approche centrée sur l’augmentation des capacités, ils seront mieux positionnés pour réaliser ces objectifs. La CPI peut être plus efficace en travaillant à un niveau de capacité supérieur sur la base de la transparence en matière de stratégies, de pratiques, et de coûts.

La CPI et les États parties devraient résoudre la crise de capacités ou risquer, dans le cas contraire, d’handicaper la Cour et de compromettre toute chance de faire réellement cesser l’impunité.