L’internationalisation va au-delà du simple fait de mener des actions de plaidoyer

Le débat actuel de openGlobalRights sur l’internationalisation des ONG de défense des droits de l’homme passe à côté d’un point fondamental : les ONG « internationales » sont également la somme d’organisations individuelles obéissant à des lois nationales différentes et qui sont plus ou moins connectées l’une à l’autre via des accords d’exploitation de la marque et de l’identité de l’organisation.

Au sein de cette  coalition transnationale d’ONG, le droit de parler au nom du groupe est inégalement réparti. Certains bureaux nationaux et certains individus le peuvent, alors que d’autres ne le peuvent pas. Cette inégalité suggère que nous devons faire attention à la diversité qui se cache derrière les entités organisationnelles individuelles qui constituent en fait un réseau d’ONG internationales dont tous les membres utilisent le même nom et les mêmes règles opérationnelles.

Qui, par exemple, est autorisé à parler au nom d’Amnesty International ou de Human Rights Watch (HRW) ? Tous les bureaux nationaux (ou comités pour HRW) ont-ils un droit de parole équivalent ? Réglementer le droit de représenter une ONG pose également le problème d’utilisation et de licence de marque par les différents bureaux nationaux afin de définir et dominer l’identité organisationnelle.

Une caractéristique de la globalisation est le jeu sur des avantages comparatifs nationaux dans la mobilisation de ressources spécifiques. Certains bureaux nationaux sont plus aptes que d’autres à collecter des fonds dans le contexte qui leur est propre. Mais ceci amène de nombreux acteurs à revendiquer le « label » d’ONG internationale et augmente le nombre de conflits potentiels entre les membres du réseau.

Prenons par exemple, les tensions au sein d’Amnesty International sur la question des droits LGBT. Au Sénégal, les membres de la section locale d’Amnesty n’étaient pas à l’aise avec l’idée de faire de cette question une priorité compte tenu du fait que l’homosexualité était punissable par la loi dans leur pays. Ne parlons-nous pas d’Amnesty, et ce que nous faisions référence à Amnesty International en France ou au Sénégal ? Penser ainsi supposerait de considérer l’internationalisation comme un processus abouti, ce qui pourrait ne jamais être le cas, ou de réduire la définition de l’organisation à sa charte.

En réalité, il y a parfois autant de différences entre deux entités de la même ONG dans deux pays différents, qu’entre deux ONG différentes au sein du même pays.

En réalité, il y a parfois autant de différences entre deux entités de la même ONG dans deux pays différents, qu’entre deux ONG différentes au sein du même pays.

Les plus grandes ONG de défense des droits de l’homme sont internationales par définition, en raison de leur visibilité ou des causes qu’elles défendent. Par conséquent, nous oublions souvent qu’elles sont, à l’origine, des entités qui, de par leurs statuts, obéissent à des lois nationales spécifiques. Pour s’étendre à l’international, elles doivent être gérées par l’intermédiaire de nouvelles entités dans le monde. Le processus d’internationalisation est présenté par de nombreuses ONG comme une évolution nécessaire, leur permettant d’agir en tant qu’acteur mondial sur des sujets mondiaux, sur la base d’une universalité qu’elles considèrent comme étant inhérente à leurs problématiques. Ce phénomène est amplifié par la tentative de « désoccidentalisation », au moins partielle, de l’identité des organisations. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), l’ONG internationale francophone, Amnesty International, et Human Rights Watch sont toutes engagées dans cette voie.

La justification morale en faveur de l’internationalisation des ONG est évidente, mais d’autres raisons existent également : la recherche de nouvelles ressources, tant financières qu’humaines, de nouveaux domaines servant de base à la collecte de nouveaux fonds et la concurrence inter-organisationnelle. L’expansion se traduit après tout par la mise en relation avec de nouveaux donateurs. Ce qui implique avant tout la collecte de fonds privés, que ce soit auprès de donateurs individuels qui peuvent être sensibles à des thèmes considérés comme étant moins importants dans les pays voisins, ou d’entreprises et de grandes fondations, que l’ont peut atteindre plus facilement via les centre urbains et internationaux. Mais la même logique peut être appliquée à la collecte de fonds publics pour les ONG de défense des droits de l’homme et qui sont mobilisés, par exemple, par la Commission européenne ou par les agences de coopérations de pays d’Europe du Nord.

Ce type de concurrence pousse les organisations à faire évoluer leur structure et à créer une identité mondiale afin d’atteindre la masse critique à l’échelle planétaire. Les raisons économiques ne sont pas le premier facteur de motivation, mais le pouvoir de l’économie politique ne peut pas être ignoré. Si tout le monde doit agir à la fois au niveau local et international, les plus petites ONG ne peuvent simplement pas lutter.


Demotix/KIMOU (All rights reserved)

The president of FIDH receives guests at the opening of the organization's Tunisian office. The globalization of NGOs is being initiated by certain powerful groups but affects everyone as it transforms the scope of local action. How will this affect the efficacy of the human rights movement at large?


L’internationalisation de ces ONG est le résultat d’un processus non linéaire (avec lequel tous les membres ne sont pas d’accord) et qui nécessite de déplacer la prise de décision à un niveau plus élevé. De plus, le développement des activités de plaidoyer, qui concernent davantage certaines pratiques gouvernementales spécifiques que l’opinion publique, renforce encore le besoin de créer de nouveaux bureaux nationaux. Les ONG concurrentes cherchent à mondialiser leur influence et leur financement. Graduellement, alors que le champ d’action s’élargit, le nombre d’entités capables d’agir sur une échelle aussi vaste diminue. Tout le monde ne peut pas être aussi puissant qu’Amnesty, la place est simplement trop réduite. Le processus de globalisation, initié par certaines ONG puissantes, affecte tout le monde alors qu’il transforme la concurrence en modifiant le champ d’action et les capacités à agir, qui ne sont disponibles qu’à un nombre restreint d’élus. Enfin, le plus haut degré d’expertise mobilisé par les organisations des droits de l’homme, qui évoluent au sein d’un cadre législatif de plus en plus dense, se traduit par la professionnalisation des actions de plaidoyer. Cela encourage la recherche d’équipes et de ressources humaines de mieux en mieux formées, de spécialisations juridiques et linguistiques plus pointues, et favorise une fois encore l’internationalisation de la recherche de nouvelles ressources humaines.

Ainsi, l’internationalisation des actions de plaidoyer fait référence non seulement à la diffusion des valeurs des ONG, mais également à un processus de transformation en termes de concurrence et de standards de qualité.

Au final, la logique de l’internationalisation des ONG n’implique pas seulement la création d’une « société civile globalisée », mais représente également l’agglomération de différents fragments de sociétés civiles nationales. Ces ONG sont motivées par une logique d’accumulation des ressources qui transforme leur domaine opérationnel via des logiques contradictoires de standardisation et de fragmentation.