Lorsqu’il s'agit des drones, les Américains se soucient-ils vraiment du droit international ?

Si le public américain se désintéresse vraiment de la politique étrangère comme nous le pensons, que peut-il savoir –ou se préoccuper– du droit international ? Dans le rapport sur leur recherche fascinante et importante sur le droit international et le soutien du public pour les attaques de drone, Sarah Kreps and Geoffrey Wallace se sont aperçus que les citoyens américains sont étonnamment réceptifs aux arguments qui affirment que les drones pourraient ne plus être utilisés car ils enfreignent le droit international. Leurs conclusions incontestables en font de précieuses contributions aux débats sur le pouvoir du droit international dans la politique de tous les jours, mais d’importantes lacunes laissent leurs conclusions ouvertes au débat. Est ce que les électeurs américains soutiennent les drones même par rapport à d’autres options ? Et, peut être encore plus fondamental, pourquoi se préoccupent-ils du droit international ?  

Les drones par rapport à…?

Kreps et Wallace sont fondamentalement intéressés par cette question : si nous disons aux électeurs américains que les drones enfreignent le droit international, seront-ils moins favorables à l’usage des drones ? Ils ont mis en place une enquête expérimentale qui contraste les cadres législatifs internationaux avec des messages sur l'efficacité des frappes de drones. L'efficacité est choisie à titre de comparaison  car il y a une littérature importante faisant valoir que l'opinion publique est plus susceptible de favoriser l'usage de la force lorsque le public croit que les objectifs politiques de la force sont réalisables.

Cependant, le fait de savoir comment et si la perspective de pertes encourues –et pas seulement de pertes infligées– pourrait affecter l'opinion publique concernant l'utilisation de drones est absent de l'analyse de Kreps et Wallace. En effet, l’argument du “public assez prudent” –que l'opinion du public sur l'utilisation de la force change en fonction de l'objectif principal –était une réaction directe à la thèse de l'aversion pour les victimes– la notion que, plus il y a de soutien aux victimes militaires, moins il y a de soutien du public à l'usage de la force. Puisque Kreps et Wallace ne tiennent pas compte des options militaires alternatives –spécifiquement, les troupes au sol –nous ne pouvons pas savoir dans quelle mesure la préférence des électeurs est motivée par le respect du droit international ou par rapport au désir de minimiser les pertes américaines.


Flickr/U.S. Pacific Command (Some rights reserved)

US Marines inspect a surveillance drone between missions in Pohakuloa, Hawaii.


Cette omission est critique précisément parce que les frappes de drones américains ne produisent pas de pertes américaines (à l'exception de quelques – citoyens Américains qui pourraient être tués par des drones –et du SSPT et de la fatigue dont souffrent quelques pilotes de drones). Le taux de victimes faible à nul est considéré comme l'un des principaux avantages des drones. Aujourd’hui, le programme de drones contribue à  une tendance à long terme de diminutions des pertes de guerre américaines grâce à la technologie militaire et médicaleUn argument en faveur de l'usage des drones  est qu'ils peuvent réduire les coûts de guerre humains et financiers en diminuant les décès et en mécanisant l'usage de la force de telle sorte qu'il faudrait moins de personnel militaire. Les drones réduisent le coût global du salaire et des avantages —y compris la couverture médicale—pour les militaires. Si les décideurs préfèrent les drones comme une mesure de réduction des coûts, il serait important de comprendre dans quelle mesure le public soutient ce point de vue. Pour faire cette évaluation, nous devrions comparer le soutien du public pour la même frappe militaire, mais avec l'utilisation de drones dans un cas et l'utilisation de troupes au sol dans l’autre. Un grand nombre des mêmes arguments sur la violation de souveraineté ainsi que le droit international humanitaire pourraient s'appliquer aux deux scénarios, et nous aurions alors un sens plus aigu du rôle du droit international dans ce cas.

Qu’est-ce-que le public connait vraiment du droit international ?

Si l'électeur moyen ne semble pas s'intéresser à la politique étrangère, combien d'électeurs connaissent vraiment du droit international? 

Le public américain a la réputation d'être désengagé de la politique étrangère. Un sondage Pew de 2013 a révélé que plus de la moitié des sondés pensent que les Etats-Unis devraient “s'occuper de leurs propres problèmes” et laisser les autres pays gérer leurs problèmes “du mieux qu'ils peuvent.” Encore plus frappant, lorsqu'on a demandé au public américain sur quoi le Président Obama devrait se concentrer en janvier 2013, 83% ont répondu la politique intérieure, tandis que seulement 6% ont dit la politique étrangère. La question à laquelle Kreps et Wallace doivent répondre est la suivante : si l'électeur moyen ne connait pas le nom du Président de la Russie et ne semble pas s'intéresser à la politique étrangère, combien d'électeurs connaissent vraiment (ou se préoccupent) du droit international ?

Plus important encore, les résultats intéressants de Kreps et Wallace soulèvent la question de savoir pourquoi les électeurs accordent de la valeur au respect du droit international. La conclusion selon laquelle ils se préoccupent du droit international est contraire à la sagesse populaire, qui fait partie de ce qui la rend si attrayante. Est-ce que la valeur que l'opinion publique américaine accorde au droit international a changé au fil du temps de sorte qu'il est plus attrayant aujourd'hui ? Si oui, pourquoi ? Est-ce que certains électeurs sont plus susceptibles d'accorder de la valeur au droit international que d'autres ?

Une demande à la hausse : drones, cyber et robots

La relation entre l’usage des drones, l’opinion publique et le droit international soulève aussi des questions concernant les technologies émergentes comme le cyber et les systèmes d'armes létaux autonomes (LAWS) ou les “ robots tueurs”. La nature asymétrique des victimes encourues contre les pertes infligées, ainsi que l'imprécision du droit international sont des questions pertinentes pour toutes ces technologies, mais à des degrés différents. Les cyber-attaques sont moins susceptibles de causer des pertes directes, si elles causent des pertes tandis que l'inquiétude au sujet des lois est que ces machines pourraient décider elles-mêmes de mener des attaques avec des dommages collatéraux importants.

Examiner conjointement la réponse du public à l'utilisation de ces technologies donnerait la possibilité d'établir des comparaisons fascinantes, car si aujourd'hui il existe  un manuel juridique très lu sur le cyber et le droit international, il n'y a pas de tel manuel pour les drones, et certainement aucun pour les LAWS– une technologie qui n'existe pas encore. Si le public se soucie du droit international et de l'usage de la force, comparer sa réaction à l'utilisation de ces différentes technologies en matière de respect du droit international pourrait aider à clarifier la raison pour laquelle le public se soucie du droit international. Ces résultats pourraient alors aider à ouvrir la voie à suivre pour la société civile et les décideurs politiques du gouvernement qui essaient de naviguer dans ce nouveau paysage juridique et technologique.