Pourquoi une réponse de l'ONU aux dégâts matériels et humains causés par le choléra qu’elle a introduit en Haïti, devrait-elle être fondée sur les droits humains dans le contexte de la crise COVID-19 ?

Si le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, prend au sérieux son appel de clairon pour « une réponse multilatérale forte, coordonnée et cohérente » au COVID-19 qui est basée sur la solidarité, il devrait commencer par tenir ses promesses faites aux victimes de l'épidémie de choléra provoquée par l'ONU en Haïti. En rendant aux victimes la justice qu'elles réclament depuis une décennie, l'ONU retrouverait ainsi la crédibilité dont elle a besoin pour mener la lutte contre la COVID-19 et donnerait aux menaces sanitaires mondiales, l'exemple d'une réponse efficace, fondée sur les droits humains.  

Le choléra a éclaté en Haïti en 2010 à la suite du déversement imprudent de déchets contaminés d'une base de l'ONU dans le plus grand système fluvial du pays. Contrairement au COVID-19, le choléra est facilement évitable avec de l'eau propre. Mais l'épidémie d'Haïti a tué plus de 10 000 personnes et en a rendu malades plus de 800 000 – un taux d'infection par habitant qui dépasse en excès la prévalence de COVID-19 dans n'importe quel pays à ce jour. 

L'ONU a réagi à l'épidémie en ne pas divulguant des informations, en niant sa responsabilité évidente et en blâmant les victimes pour leur vulnérabilité sous-jacente à la maladie, un produit de leur pauvreté, un modèle qui est maintenant utilisé par quelques gouvernements dans les réponses infructueuses liées au COVID-19. L'ONU a aussi refusé de donner aux victimes une audience équitable concernant leurs demandes de justice, en violation du droit international. En 2016, le Rapporteur spécial des Nations Unies en matière de l’extrême pauvreté et les droits humains, Philip Alston, a qualifié cette réponse de « moralement inadmissible, juridiquement indéfendable et politiquement contre-productive ». Plus tard au cours de l'année, face à une mobilisation extraordinaire des victimes et de leurs alliés, les Nations Unies ont présenté des excuses publiques sans précédent et ont annoncé une « nouvelle approche » qui devait « placer les victimes au centre » et concrétiser le regret des Nations Unies par une aide matérielle aux victimes. 

Mais trois ans et demi plus tard, l'ONU n'a réuni que 5 % des 400 millions de dollars qu’elle a voulu verser avant fin 2018. Aucune victime a été indemnisée, car l’ONU a donné priorité à une poignée de projets d’infrastructure modestes. L'organisation a systématiquement exclu les groupes organisés de victimes de la participation à la prise de décision, préférant un processus de consultation soigneusement conçu pour mettre de côté le point de vue des victimes sur les décisions essentielles telles que la forme des remèdes. En l'absence d'un processus inclusif ou d'un mécanisme indépendant afin de décider des réparations à accorder, les victimes n'ont eu aucun moyen de faire respecter les promesses faites en 2016. Au lieu de cela, leur exécution devient une question de charité plutôt que de justice, déterminée par la politique plutôt que par le droit international.

Mais l'épidémie d'Haïti a tué plus de 10 000 personnes et en a rendu malades plus de 800 000 – un taux d'infection par habitant qui dépasse en excès la prévalence de COVID-19 dans n'importe quel pays à ce jour. 

Au début de l'année, nos organisations ont déposé une plainte avec des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, demandant aux experts de l'Organisation d'enquêter sur les insuffisances et les promesses non tenues dans la réponse de l'ONU au choléra et qui constituent des violations du droit à un recours effectif. Constatant cette injustice flagrante, quatorze titulaires de mandat de l'ONU, un nombre sans précédent, se sont mobilisés et ont publié une lettre dénonçant la violation continue des droits des victimes par l'ONU et insistant pour que l'Organisation respecte ses obligations claires en matière de droits humains. Les experts ont souligné que « l'aide est d'autant plus urgente que l'épidémie de COVID-19 pourrait porter un double coup aux victimes et à leurs familles. » Ils ont reconnu les défis que le Coronavirus pose à l'ONU, mais ont insisté sur le fait que « cette nouvelle menace ne peut pas masquer les échecs passés et les violations en cours. » 

La réponse récente du Secrétaire général était un exemple pour comment ignorer les experts de l’ONU en matière des droits humains, plutôt que pour l’approche multilatérale de principe qu’il préconise pour la COVID-19. M. Guterres a même refusé de répondre aux allégations sérieuses des violations des droits humains qu’ont soulevées les experts, et a changé de sujet aux efforts pour s’attaquer à l’épidémie. Des chefs d’état scrutés par les experts du Secrétaire Général pourront maintenant être confidents en les ignorant aussi. Dans les mots de M. Alston, la réponse de M. Guterres constitue une « abdication choquante de la responsabilité » à un moment où le monde a besoin du leadership de principe du Secrétaire général. 

L’ONU devrait changer de cap de toute urgence. Pour restaurer la crédibilité nécessaire pour s’en prendre au COVID-19, M. Guterres devrait garder les promesses d’une réponse au choléra en Haïti fondée sur les droits humains et qui place les victimes au centre. Cela signifie que l'ONU doit remplir ses obligations légales en matière d'indemnisation des victimes et fournir les infrastructures d'eau et d'assainissement qui permettront également d'éviter la transmission de COVID-19. 

Il s'agit de mesures audacieuses, qui demandent du courage. Elles obligent le Secrétaire général à se ranger du côté de ses propres experts en matière de droits humains contre la « campagne interne extraordinaire » menée par les avocats de l’ONU contre la responsabilité. Elles exigent également une diplomatie habile pour rappeler les principaux États membres de la « responsabilité collective de l'ONU » en réponse aux torts causés par l’ONU. 

Dans sa réponse, M. Guterres a écrit qu’il « partage [leur] frustration que davantage de fonds pour des victimes n’ont pas été disponibles » et a promis de continuer des demandes financières. Mais comme ont souligné les experts de l’ONU, « demander aux États-membres de l’ONU à faire un don diffère fondamentalement des paiements liés à une obligation légale. » Après des années du succès limité en approchant la réponse à l’épidémie du choléra en tant que charité, le Secrétaire général doit la traiter comme une question de justice. Il devrait commettre à fonder l’indemnisation par des cotisations, comme prévu dans le cadre légal des responsabilités de l’ONU, et comme l’Organisation a fait pour la réponse à l’Ebola en Afrique de l’Ouest. La réponse internationale au COVID-19 a « explosé le mythe » que les ressources ne peuvent pas être trouvées pour répondre aux besoins de base et de droits dans une épidémie, et le même principe doit être appliqué ici, où l’ONU elle-même est responsable pour le mal causé. 

Il est plus que jamais essentiel de faire preuve de ce courage. Etant donné que le Secrétaire général fait l'objet de critiques plus globales selon lesquelles il retire des droits humains et décourage le personnel de protester contre le racisme, le fait de fournir des remèdes contre le choléra prouverait au contraire que les Nations Unies continuent de considérer les droits humains comme une priorité.  

Cela permettrait d'établir un modèle de réponse aux pandémies en matière de droits humains pour la réponse mondiale au COVID-19. Un tel modèle pourrait être très utile dans le cadre des efforts déployés par les Nations unies pour mobiliser la solidarité mondiale et garantir une réponse équitable au COVID-19. Récemment, le monde a enregistré le plus grand nombre de cas quotidiens à ce jour, et une grande partie de cette augmentation se situe maintenant dans des pays en développement comme Haïti qui ont beaucoup moins de ressources pour y faire face. Alors que l'Organisation panaméricaine de la santé a exhorté les pays de la région à accélérer leur préparation au COVID-19, des réponses nationales contradictoires à la pandémie facilitent la propagation du virus.  

Lorsque le Secrétaire général a fait remarquer que nous avons besoin d'une « réponse multilatérale forte, coordonnée et cohérente », il parlait de COVID-19 de la même façon que les Haïtiens parlent depuis une décennie de l'épidémie de choléra provoquée par les Nations Unies. M. Guterres devrait les écouter et mettre en place une riposte juste, équitable et efficace face au choléra causé par les Nations Unies, et ceci sera une étape essentielle pour relever le défi lié à la pandémie de COVID-19.