Les organismes pour la justice de base mettent en œuvre des recherches pour endiguer la vague d’injustice

Participants à un cours exécutif de 2016 sur le leadership en matière d'autonomisation juridique, organisé en partie par Namati. Source : Flickr / École de politique publique de l'Université d'Europe centrale

L’augmentation des attaques contre les droits de la personne, l’État de droit et les personnes qui défendent des droits au cours des dernières années a été bien documentée, la pandémie de COVID­19 ayant exacerbé bon nombre des pires tendances. Une approche d’autonomisation juridique, menée par les personnes les plus touchées par l’injustice, a le potentiel d’améliorer notre capacité à contrer ces menaces aux droits de la personne.

L’approche de l’autonomisation juridique est apparue lors de luttes antérieures visant à instaurer la démocratie et à faire respecter les droits contre vents et marées, dans des contextes tels que l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid, les transitions post-conflit au Liberia et en Sierra Leone, ainsi que sous les régimes de Suharto en Indonésie et de Marcos Sr aux Philippines. Elle propose un ensemble de stratégies pour faire face aux défis actuels des droits de la personne dans les sociétés du monde entier. Contrairement aux approches légalistes formelles de la réforme, où les avocates et avocats sont les protagonistes, ces stratégies cherchent à réinventer la justice en plaçant les personnes concernées au centre des efforts afin de connaître, utiliser et façonner la loi et revendiquer leurs droits.

Pourtant, on ignore encore beaucoup de choses sur la manière de contrer les menaces nouvelles et permanentes qui pèsent sur les droits de la personne, alors que ceux-ci semblent tellement à la croisée des chemins. En réponse à ces grandes questions, nos organismes – Namati et le Centre de recherches pour le développement international du Canada – sont ravis de soutenir un programme d’apprentissage de l’autonomisation juridique, un effort collectif pour déterminer ce qui fonctionne afin de faire respecter les droits de la personne face à l’inégalité et à l’exclusion structurelles et à l’érosion rapide de la responsabilité publique.

Le programme d’apprentissage est né des luttes communes des membres du réseau Legal Empowerment Network – la plus grande communauté au monde de personnes qui défendent la justice de base. Le programme se concrétise aujourd’hui avec une première série de huit projets de recherche-action, menés par des organismes d’Asie du Sud-Est et d’Afrique subsaharienne. Au moment de la rédaction de cet article, de nouveaux travaux sont également en cours en Amérique latine sur les approches d’autonomisation juridique pour atteindre la justice environnementale. En associant la recherche à l’expérimentation de programmes innovants, ces projets cherchent à comprendre comment les stratégies d’autonomisation juridique peuvent renforcer le pouvoir de la communauté, accroître la participation des femmes et des groupes marginalisés à la prise de décision, et faire progresser les changements de lois et d’institutions qui contribueront à approfondir la gouvernance démocratique et inclusive dans toute une série de contextes politiques.

Au cœur du programme d’apprentissage de l’autonomisation juridique se trouve notre propre théorie du changement sur la manière dont la recherche et l’apprentissage peuvent jouer un rôle clé dans l’amélioration de nos méthodes de travail afin d’instaurer un changement systémique.

Associer l’apprentissage aux luttes pour la justice

Au moyen de la recherche-action participative, ces organismes d’autonomisation juridique examinent comment le soutien qu’ils apportent aux groupes concernés peut contribuer à un changement systémique et à des avancées cruciales en matière de droits de la personne. De différentes manières, les projets de recherche sont tous centrés sur les expériences vécues, la participation active et le leadership d’une série de groupes visés. Ce modèle de recherche offre un pont puissant entre la connaissance et l’action en vue de faire avancer les luttes collectives pour la justice par les personnes dont les droits sont le plus directement en jeu. Les méthodes des équipes consistent en un mélange de réflexions approfondies sur les efforts passés, tels que les litiges stratégiques et les actions collectives sur les luttes pour la terre et l’environnement en Indonésie et aux Philippines, et l’expérimentation de nouvelles interventions en temps réel afin d’évaluer leur efficacité potentielle, comme un système d’alerte précoce pour les menaces sur les droits fonciers des femmes et des peuples autochtones au Cameroun et en Ouganda.

Des équipes au Nigeria, au Bénin, au Sénégal, au Kenya et en Zambie recueillent des données indispensables afin d’alimenter les efforts de plaidoyer des mouvements sociaux, afin de se prémunir contre les expulsions forcées généralisées ou un réaménagement participatif révolutionnaire. Au Malawi, au Nigeria, en Thaïlande et en Indonésie, les équipes aident les groupes marginalisés, comme les travailleuses ou travailleurs du sexe, les personnes LGBTQI+, les commerçantes et commerçants informels, les personnes réfugiées et les personnes qui demandent l’asile, à déterminer comment ouvrir des espaces sûrs afin de participer et se mobiliser auprès des fonctionnaires, face aux politiques discriminatoires et aux violences policières et des autorités publiques.

Plutôt que de s’appuyer sur des solutions purement techniques en matière de justice, en d’autres termes, ces projets adoptent une approche intersectionnelle (p. ex. la marginalisation fondée sur le genre, l’origine ethnique et le statut économique) pour affronter les hiérarchies de pouvoir qui sont à l’origine des injustices.

Dans tous les pays, les leaders des mouvements d’autonomisation juridique évaluent de manière critique les répercussions de leurs stratégies pour faire avancer les droits et la démocratie. Des questions vives se posent à travers les projets sur le mélange de collaboration ou de confrontation avec les fonctionnaires qui pourrait s’avérer le plus efficace pour renverser les politiques publiques d’exclusion ou soutenir celles qui améliorent la situation.

Apprentissage comparatif et échange de leçons tirées pour développer le domaine

Ensemble, les projets du programme d’apprentissage reflètent un choix intentionnel de distiller les leçons entre les pays, les divers enjeux et les populations. Cette approche est guidée par l’hypothèse que l’apprentissage comparatif – c’est-à-dire l’échange de ce qui fonctionne – nous aidera à renforcer notre influence, à créer une solidarité entre les praticiennes, praticiens et à jeter les bases d’une action collective potentielle à l’avenir. Ensemble, ces efforts visant à établir des alliances entre les mouvements devraient nous rendre plus efficaces pour contrer les tendances antidémocratiques, comme la fermeture des espaces civiques.

Namati et trois « pôles » régionaux – Alternative Law Groups (Philippines), Kituo Cha Sheria (Kenya) et Justice and Empowerment Initiatives (Nigeria) – aident les équipes de recherche à établir des liens habituels pour échanger des leçons et des résultats, proposer des solutions et fournir un retour d’information en temps réel sur les stratégies de recherche et d’autonomisation juridique qu’elles utilisent. Les huit équipes de recherche mutualisent également les résultats de la recherche avec une communauté de pratique plus large à travers le Legal Empowerment Network, au moyen d’une première série de rassemblements régionaux en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est.

Cet apprentissage est aussi un effort de réflexion critique portant sur « les théories du changement et les méthodes de travail des droits de la personne internationaux. » Lorsqu’elles sont menées de manière éthique et rigoureuse, la recherche et la réflexion critique honorent les notions de base de la dignité et des droits fondamentaux en nous conditionnant à voir au-delà de nos points de vue et de nos expériences et à vérifier nos hypothèses les plus fondamentales. Bien qu’il faille encore attendre plusieurs années avant d’obtenir des données probantes et d’approfondir l’apprentissage, la recherche-action et l’échange des connaissances offrent déjà un aperçu d’une approche centrée sur le leadership des communautés les plus touchées par l’injustice, afin que, pour reprendre les mots poignants de Meg Satterthwaite, elles puissent être les « maîtres de leur propre libération ». Vos réflexions et vos conseils sont les bienvenus alors que nous poursuivons ce parcours collectif.