Qu’est-ce qui rend une campagne en faveur des droits humains efficace ?

Les spécialistes des droits humains consacrent des ressources considérables pour essayer de mieux sensibiliser. C’est logique. Si nous ne savions pas au préalable que ces droits sont les nôtres, comment pourrions-nous demander à en bénéficier ? L’importance de connaitre ses droits afin de s’affirmer en tant que personne indépendante et autonome est telle que les organisations de la société civile et les agences gouvernementales mettent en œuvre une grande variété de campagnes visant à informer sur les droits humains. Les Fondations et les gouvernements des pays développés financent et supervisent indirectement les organisations locales à l’étranger dans leurs efforts de sensibilisation. Même les Nations unies ont créé un programme mondial en faveur de l'éducation aux droits de l'homme. Devant ces nombreuses initiatives, savons-nous ce qui permet à une campagne de sensibilisation aux droits humains d’être efficace ?

Un des plus grands bailleurs de fonds en faveur des campagnes de sensibilisation dans le monde, l’USAID, a posé la même question à mon équipe de recherche. En réponse, nous avons passé en revue la littérature académique en quête de réponses et nous avons mis sur pied une analyse documentaire basée sur plus de 100 articles et publications académiques revus par des confrères spécialistes de la question.

Flickr/NESRI(CC BY 2.0)

Disciplines from marketing to public health have long studied awareness campaigns and have much to say about differences in design and implementation strategies.


Les campagnes de sensibilisation sont étudiées depuis longtemps dans les domaines allant du marketing à la santé publique et ces derniers ont beaucoup à dire sur les différences en ce qui concerne les stratégies de conception et de mise en œuvre. Les données de cette recherche ont tendance à provenir de campagnes dans des domaines autres que ceux des droits humains. La recherche académique n’a pas, pour l’essentiel, étudié les campagnes de sensibilisation aux droits humains avec la même rigueur que celle constatée dans le cas des campagnes de lutte contre la drogue, de sensibilisation au cancer, ou des campagnes électorales. Au regard du manque de connaissance sur l’efficacité des campagnes de sensibilisation aux droits humains, notre but était d’utiliser cette recherche pour établir des recommandations pertinentes afin de concevoir des campagnes de sensibilisation efficaces dans le domaine des droits humains.

Premièrement, la recherche académique s’accorde généralement sur le fait que la formulation est essentielle. Les manières de formuler organisent la réalité en apportant une interprétation spécifique sur la manière dont une question sera débattue. Dans le domaine des campagnes en faveur des droits humains, ces formulations servent à : 1) définir le problème ; 2) suggérer des solutions possibles ; et surtout, 3) favoriser l’implication de la société. Les campagnes qui intègrent ces trois paramètres tout en reflétant le contexte local ont tendance à être les plus efficaces.

Deuxièmement, au vu de l’importance de la formulation, les formulations alternatives sont un réel danger ayant besoin d’être anticipé. Lorsque ceux qui s’opposent aux objectifs poursuivis par les campagnes utilisent des formulations alternatives, cela complique les stratégies de formulation adoptées par les spécialistes des droits humains. Les formulations alternatives exposent les faits sur la même problématique de droits humains de manière contradictoire avec pour but de réaffirmer le statu quo, d'accuser les personnes qui sont derrière la campagne de poursuivre des objectifs inavoués, ou d’occulter les véritables responsabilités. Les défenseurs des droits humains peuvent en conclure qu’ils doivent sélectionner les formulations qui prennent en compte les spécificités du public ciblé tout en faisant en sorte qu’il soit difficile pour la partie adverse de contrer le message. S’assurer que la formulation émane d’une source crédible est une façon de se préparer aux éventuelles formulations alternatives.

Troisièmement, les médias sont un outil puissant. Les médias de masse traditionnels, la télévision, la radio, et les journaux, informent directement l’opinion publique sur les droits humains, mais le niveau de couverture médiatique doit être important. Pour cette raison, il est essentiel que les organisations de défense des droits maintiennent des relations étroites avec les médias. Ceci étant dit, les grands médias peuvent parfois avoir des réserves sur le contenu éditorial ou suivre une ligne politique qui rende la diffusion du message des campagnes en faveur des droits humains peu probable . Dans ce cas, les médias alternatifs peuvent se révéler plus efficaces et les organisateurs de la campagne ont peut-être besoin de faire preuve de créativité.

Certaines organisations de défense des droits humains ont recours au théâtre ou font appel à des comédiens. La valeur des campagnes basées sur le divertissement réside dans le fait qu’elles résolvent un problème central pour les concepteurs des campagnes : comment présenter des situations et des personnages avec lesquels les gens peuvent s’identifier tout en présentant également une perspective unique sur la problématique concernée. Les campagnes basées sur le divertissement présentent également un autre avantage : elles touchent un public plus large que les documentaires qui s’adressent en premier lieu à un public naturellement réceptif au message délivré.

Cependant, internet n’est pas nécessairement un espace plus fortement démocratique où toutes les opinions sont traitées de manière égalitaires.

Quatrièmement, les médias sociaux offrent de nouveaux outils aux campagnes en faveur des droits humains. Cependant, internet n’est pas nécessairement un espace plus fortement démocratique où toutes les opinions sont traitées de manière égalitaires. Donc, ces nouvelles formes de militantisme et de sensibilisation (comme le fait de remplacer sa photo de profil par un mème, une activité souvent qualifiée de « slacktivisme ») devraient être utilisées en conjonction avec d’autres formes de sensibilisation. Certains de ces moyens supplémentaires de sensibilisation incluent l'utilisation d’applications de messagerie comme Telegram et WhatsApp (voir des exemples, ici et ici).

Cinquièmement, cette recherche suggère que les techniques de pré-test ont tendance à renforcer la probabilité de l’efficacité d’une campagne. Ce constat provient surtout de domaines autres que ceux des droits humains : la publicité et les campagnes dans le domaine de la santé publique ont fréquemment recours au pré-test, alors que les campagnes en faveur des droits humains, moins bien financées, ont tendance à ne pas le faire. Cependant, nos recherches suggèrent que cette étape est essentielle à l’élaboration de la campagne et qu’elle exige une mobilisation et des ressources plus importantes. Le pré-test peut aller des campagnes pilotes, aux groupes de discussion en passant par des enquêtes (physiques ou en ligne), ou même des discussions plus informelles avec des personnes appartenant au groupe cible. La campagne « POWER » au Colorado illustre l’utilisation d’une variété de ces techniques de pré-test.

Ceux qui mettent en œuvre les campagnes ne devraient pas présumer que le simple fait de fournir des informations va résoudre par magie les problèmes en matière de droits humains, et de la même manière, nous ne pensons pas que nos recommandations soient des solutions miracles garantissant l’efficacité des campagnes. Un grand nombre de nos conclusions ne sont certainement pas nouvelles pour les spécialistes mais elles sont très couteuses à mettre en œuvre. Notre but ultime est que lors de l’élaboration des budgets, ceux qui plaident en faveur d’un travail préparatoire puissent s’appuyer sur les recherches académiques démontrant l’importance et l’efficacité de stratégies spécifiques en terme de formulation et de médias pour les campagnes.