Les militants des droits de l’Homme mènent des actions innovantes et percutantes dans différentes localités d'Amérique du Nord. Les essais de cette série montrent que les droits de l’Homme sont en train d’être repensés sur le terrain, en s’appuyant sur le système international tout en appelant à sa réorientation et sa reconstruction.
La série soulève donc une question cruciale : les villes peuvent-elles émerger comme des espaces politiques alternatifs pour affirmer et réinventer les droits dans un ordre mondial façonné par la domination croissante du nationalisme autoritaire ? À une époque où la mobilité est croissante, mais aussi plus tendue, les villes sont des carrefours où se croisent des personnes, des cultures et des idées du monde entier, et deviennent ainsi souvent des centres d'innovation progressiste. Il n'est donc pas surprenant que l'activisme en faveur des droits de l’Homme se développe dans les villes du monde entier. Alimentés par les innovations pratiques et théoriques du Sud, ces mouvements se développent à mesure que des réseaux trans-locaux relient les communautés du Sud et du Nord.
Une organisation locale pour résoudre des problèmes mondiaux
Cette pratique centrée sur les personnes fait du local un lieu naturel et approprié pour l'organisation et l'activisme en faveur des droits de l’Homme Dans ce contexte, le terme « local » n'a pas de connotation d'insularité ou de provincialisme : dans de nombreux cas, les problèmes auxquels les villes sont confrontées sont des questions transfrontalières que les États-nations ne peuvent ou ne veulent pas traiter, telles que le logement, le racisme, la vérité et la mémoire historique, le changement climatique et la violence sexiste. Pour nous, « local » signifie « s'engager dans la vie quotidienne et les luttes des gens et s'attaquer aux problèmes qui les touchent le plus ». En ce sens, une approche « locale » est nécessairement mondiale et intersectionnelle.
C'est peut-être la raison pour laquelle l'organisation et l'activisme autour des villes des droits de l’Homme défient toute catégorisation claire en termes d'espace et d'échelle..Ces initiatives locales mobilisent les normes internationales des droits de l’Homme, tout en dépassant les cadres et stratégies de défense traditionnels. Les militants translocaux utilisent les lois et les normes internationales comme leviers de changement local, mais ils développent également des réponses créatives et adaptées au contexte pour répondre aux besoins de communautés particulières, connaissances qu'ils partagent et adaptent grâce à des réseaux tels que l'Alliance des villes pour les droits de l’Homme Ce travail comprend la défense des droits, la promotion de la responsabilité, l'élaboration de politiques et la mise en place d'institutions. Plus important encore, il élargit l'imaginaire politique existant en repensant les communautés comme inclusives, solidaires et, en fin de compte, émancipatrices.
Cette transformation discursive ou symbolique est à la fois l'objectif principal et le principal défi auxquels sont confrontés les organisateurs des villes des droits de l’Homme. Des décennies d'austérité néolibérale ont vidé l'État de sa substance, le rendant réticent et de plus en plus incapable de défendre les droits de l’Homme. De plus, comme l'écrivent nos collègues, « Le monde assiste à une attaque à grande échelle contre les droits de l’Homme » menée par des dirigeants autoritaires qui démantèlent activement les protections existantes et punissent ceux qui cherchent à défendre leurs propres droits ou à défendre les droits des « autres ». Ces attaques visent souvent explicitement les efforts locaux. La déshumanisation est redevenue une tactique politique des partis politiques traditionnels, peut-être plus particulièrement dans les démocraties « avancées » d'Europe et d'Amérique du Nord.
L'avenir est local
Ces attaques empoisonnent notre politique contemporaine, mais paradoxalement, elles pourraient également ouvrir notre imagination politique à de nouvelles voies de transformation potentielle. Le changement viendra, mais sa direction et ses effets restent à déterminer. Les défenseurs des villes des droits de l’Homme luttent pour façonner un avenir. En concevant et en promouvant des politiques qui donnent la priorité aux membres les plus vulnérables et les plus précaires de nos communautés, les organisateurs et les militants cherchent à mettre en œuvre une approche intersectionnelle de la lutte contre l'injustice qui renforce la communauté par la solidarité tout en embrassant l'égalité dans la différence et la différence dans l'égalité. En mettant en place des institutions et des pratiques qui protègent et font progresser les droits de l’Homme, les défenseurs des villes cherchent à changer les conditions matérielles de vie des personnes de manière à leur permettre d'envisager des avenirs alternatifs.
Le tournant local n'est pas seulement une réponse pragmatique au recul des États-nations face à leurs obligations mondiales. Il s'agit d'une réinvention délibérée et ambitieuse de la manière dont les droits sont revendiqués, protégés et vécus. Il vise à donner aux communautés les moyens de s'approprier les normes mondiales en matière de droits de l’Homme, non pas en tant qu'acteurs isolés, mais à travers des réseaux trans-locaux denses qui transcendent les frontières. Il critique les approches descendantes détachées des réalités vécues, au profit de récits de justice ascendants et enracinés dans la culture
Enfin, ce tournant local élargit notre imagination politique collective au-delà des modèles centrés sur l'État, en orientant vers des modes participatifs et pluralistes de conception des contrats sociaux fondés sur la solidarité. Loin d'être un simple palliatif, cet activisme local redéfinit le terrain de la lutte pour les droits de l’Homme en ancrant le changement symbolique dans des transformations politiques tangibles. Cette réorientation est cruciale à un moment politique où le continent est secoué par les politiques et le discours agressifs et xénophobes de l'administration Trump à l'égard du Canada et du Mexique. Ces bouleversements provoqués par les États-Unis compliqueront certainement les efforts de coopération et de collaboration transfrontalières. Dans le même temps, ils soulignent la nécessité de réponses translocales et communautaires à la montée de l'exclusion, de la déshumanisation et des tensions politiques en Amérique du Nord et au-delà. Peut-être plus que jamais, l'avenir des droits de l’Homme est local.
Cet article fait partie d'une série publiée en partenariat avec Human Rights Cities Alliance. Vous pouvez consulter les autres articles de cette série ici.